mardi 30 mai 2017

BELLES PAGES 11: PROCÉDURE CIVILE, REGARDS RÉTROSPECTIFS

SOMMAIRE 
(EXTRAITS DU RÉPERTOIRE DALLOZ DE PROCÉDURE CIVILE)

I – Synthèse pour 1998
II - Synthèse pour 1999
III - Synthèse pour 2000
IV - Synthèse pour 2001
V - Synthèse pour 2002
VI - Synthèse pour 2003
VII - Synthèse pour 2004
VIII - Synthèse pour 2005
IX - Synthèse pour 2006
X - Synthèse pour 2007
XI - Synthèse pour 2008


I – Synthèse pour 1998
1998 ou l’ambition d’une justice civile plus rapide,
 plus consensuelle et plus proche des justiciables
à quelques jours près, l’année 1998 n’aura pas encore été une année de transition, dans l’attente d’une hypothétique réforme de la procédure civile, à la différence des deux années précédentes qui, ainsi que nous l’écrivions pour ce répertoire, dans la synthèse annuelle propre à chacune des deux années 1996 et 1997, n’avaient pas connu la concrétisation des espoirs mis dans les recommandations de Monsieur le président Jean-Marie COULON, suite à la mission que lui avait confiée le Garde des Sceaux de l’époque. Les ministres changent, mais les problèmes de la justice civile perdurent et les solutions largement initiées par l’un sont reprises par son successeur, loin des passions politiciennes qui empoisonnent tant une autre justice, la justice pénale. Par la grâce d’une loi du 18 décembre relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits (n° 98-1163, JO du 22 décembre) et d’un décret du 28 décembre à l’intitulé moins ambitieux (modifiant le code de l’organisation judiciaire et le nouveau code de procédure civile, n° 98-1231, JO du 30 décembre), l’année 1998 se termine par un bouquet de textes ajoutés, modifiés ou abrogés formant, avec d’autre lois ou décrets et une certaine jurisprudence dont nous aurons à parler, un ensemble qui bouleverse le paysage de la justice civile, avec l’ambition affichée, mais aussi les moyens techniques de donner corps à cette ambition, de rendre cette justice plus rapide, plus consensuelle et plus proche des justiciables (I).
Les dispositions du décret du 28 décembre entreront en vigueur le 1er mars 1998 (art. 32 du décret) et les nouvelles règles de compétence ne concerneront que les instances introduites à compter de cette date (art. 33, al. 1er) ; quant aux règles déterminant le taux du ressort elles ne seront applicables qu’aux décisions prononcées à partie du 1er mars 1999 (art. 33, al. 2).
Par ailleurs, on constate une confirmation de la poussée du droit processuel européen poussée que nous avions déjà relevée l’an dernier (II).
i une justice civile rénovée
L’ambition, affichée clairement dans la loi précitée du 18 décembre et le décret déjà cité du 28 décembre, était en germe dans les réformes procédurales apportées d’une part, par les lois n° 98-46 du 23 janvier (relative à la protection des personnes surendettées et à la procédure de saisie immobilière) et n° 98- 657 du 29 juillet (loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions) et, d’autre part, par le décret n° 98-965 du 30 octobre, décret d’application de la loi précitée du 29 juillet pour le cas particulier de l’exécution des décisions d’expulsion. Cette ambition se trouve en outre confortée par une jurisprudence soucieuse de la protection des intérêts financiers des justiciables en matière de fixation et de contrôle des honoraires d’avocats. Trois idées se dégagent : une justice plus proche du justiciable (A), plus consensuelle (B) et plus rapide (C), l’essentiel des apports provenant de la loi du 18 décembre et du décret du 28 décembre 1998.
            A) Une justice plus proche du justiciable
Diverses dispositions législatives ou réglementaires traduisent cette préoccupation qui ne laisse pas indifférente la jurisprudence. L’ambition de rendre la justice plus proche des citoyens peut concerner la justice de proximité ordinaire, c’est à dire celle qui est commune à tous les justiciables (a), ou ne viser que certaines catégories de citoyens, à savoir les plus démunis, notamment ceux qui sont en situation de surendettement ou de saisie immobilière, plus particulièrement de leur logement (b). La jurisprudence y ajoute la protection des clients des avocats (c).

a) Les retouches apportées à la justice de proximité par le décret du 28 décembre 1998
            1) La première retouche concerne le réajustement des taux du ressort et de compétence qui n’avaient pas bougé depuis treize ans (la dernière adaptation remontait au décret n° 95-422 du 10 avril 1985). L’article premier du décret porte les anciens montants de 13000F à 25000F pour le taux du ressort du tribunal de grande instance et du tribunal d’instance et de 30000f à 50000F pour le taux de compétence du tribunal d’instance. Faudra-t-il attendre treize ans pour une nouvelle réévaluation ? Il est vrai que le faible chiffre de l’inflation n’incite pas la chancellerie à modifier trop fréquemment le montant de ces taux, encore que cela soit le ca, par obligation légale, pour les conseil de prud’hommes.
            2) La deuxième innovation, plus radicale, touche à l’exclusion de la compétence du tribunal d’instance pour « toutes les contestations en matière de baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal régis par le décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ». Jusqu’à présent, cette compétence était partagée entre cinq organes juridictionnels : le TGI et son président lorsque le litige devait être tranché en application du décret de 1953 et que l’une des parties n’étaient pas commerçante (le président est compétent pour la fixation du prix du bail révisé ou renouvelable, le tribunal pour les seules difficultés relevant du statut de la propriété commerciale issu du décret du 30 septembre 1953), le tribunal de commerce et son président lorsque, dans les mêmes cas, les deux parties étaient commerçantes, le tribunal d’instance enfin lorsque le différend ressortait au droit commun du contrat de louage, c’est à dire pour tout ce qui, dans un bail commercial relève du droit commun des baux ou des obligations. Cette dernière compétence va donc lui échapper au 1er mars 1999, pour revenir au tribunal de grande instance ou de commerce.
            3) La troisième retouche apportée à la justice de proximité par le décret du 28 décembre 1998 concerne les règles d’assistance et de représentation devant le tribunal d’instance et le juge de l’exécution. Les articles 22 et 31 du décret du 28 décembre, rédigés en termes identiques apportent deux innovations en matière d’assistance et de représentation devant, respectivement, le tribunal d’instance et le juge de l’exécution, en modifiant la rédaction de l’alinéa 1er des articles 828 du nouveau code (tribunal d’instance) et 11 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 (JEX).
- La première innovation permet désormais aux parties de se faire représenter devant ces deux juridictions par leur concubin ; souci de tenir compte de l’évolution des moeurs en matière de vie commune, mais réponse déjà dépassée par le projet de loi en discussion devant le Parlement sur le PACS. Le concubin visé par le décret est celui retenu antérieurement par la jurisprudence, indépendamment du PACS, mais il faudra, si le projet est voté, procéder à une nouvelle rédaction de ces textes pour permettre au partenaire d’un PACS d’assister ou de représenter son cocontractant.
- La seconde innovation consiste à supprimer l’exigence d’un lien d’attache exclusif entre la partie et son représentant, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’une entreprise. Cette suppression tend manifestement à permettre la représentation « multicartes », les petites et moyennes entreprises n’ayant pas toujours la possibilité d’avoir une personne exclusivement attachée à leur service dans le domaine du droit. Le risque, bien évidemment, est de voir se créer une profession de représentants multicartes.
On remarquera que le décret n’a pas étendu la réforme concernant le concubin aux conseils de prud’hommes (art. R. 516-5, C. trav.), ni aux tribunaux des affaires de sécurité sociale (art. R. 142-20, C séc. soc.), ni aux tribunaux paritaires des baux ruraux, alors que, pour ces derniers, l’article 884 vise « un membre de leur famille », ce qui inclut le conjoint, mais exclut le concubin.

b) La protection procédurale des plus démunis et des exclus par les lois du 23 janvier, 29 juillet et 18 décembre et le décret du 30 octobre 1998
            Diverses dispositions, disséminées dans des textes promulgués tout au long de l’année 1998, arrivent à former un ensemble assez cohérent d’une justice différente pour les personnes les plus démunies ; en introduisant des discriminations à rebours, ces textes créent une justice à deux vitesses, en tout cas une justice différente pour les personnes sans ressources, souvent au détriment d’autrui, c’est à dire des créanciers, voire des professionnels du droit, technique qui porte en elle-même ses propres limites, car ce qui a été accordé aux plus pauvres ne doit-il pas être étendu à d’autres pauvres ? Et la notion de pauvreté, on le voit bien dans l’attribution de l’aide juridictionnelle, peut être relative.
1) La loi n° 98-46 du 23 janvier 1998 renforce la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière en autorisant la commission de surendettement à saisir le juge pour qu’il ordonne un sursis à l’adjudication, pour causes graves et dûment justifiées.
Dans le même ordre d’idée de protection du débiteur, celui-ci peut désormais former un dire pour insuffisance manifeste du montant de la mise à prix de son logement principal, montant fixé par le créancier poursuivant. Mais, dans un mouvement inverse, cette loi réduit de 12 à 2 mois le délai pendant lequel le débiteur dont le logement a été saisi, peut obtenir une réduction de la dette restant due, le point de départ de ce délai étant la sommation faite d’avoir à payer ce montant.
Enfin, c’est le juge de la saisie immobilière et non pas le juge de l’exécution qui est compétent pour prononcer la suspension de la procédure de saisie immobilière après la publication du commandement de saisie.
2) La loi n° 98-657 du 29 juillet 1998, loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions concerne l’aide juridique, les conditions de l’expulsion, le surendettement et la saisie immobilière :
- Dans le premier cas, on soulignera, que l’article 82 de cette loi complète ainsi l’article 13 de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique : « s’il n’a pas de domicile, le demandeur peut adresser sa demande au bureau d’aide juridictionnelle établi au siège de la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve l’organisme d’accueil choisi par lui. Pour les besoins de la procédure d’aide juridictionnelle, le demandeur est réputé domicilié audit organisme d’accueil ». Quelques années auparavant, la Chancellerie avait précisé, dans une réponse écrite, que « l’exigence de la mention d’un domicile dans la demande en justice (art. 59, NCPC), n’est pas contraire au droit d’accès à la justice des sans domiciles fixes », Rép. QE, 27 juin 1994 : JCP 1994, V, 109.
- Concernant les expulsions, la loi du 29 juillet instaure l’obligation d’informer le préfet de la procédure d’expulsion, dans les conditions indiquées à la rubrique Expulsion de la mise à jour. - En outre, les personnes surendettées bénéficient d’une réduction de la rémunération due à l’huissier de justice et d’un arsenal de mesures en leur faveur dont le lecteur trouvera le détail dans la rubrique Surendettement des particuliers de la mise à jour (articles L 331-2 à L. 332-1 du code de la consommation).
- Enfin, les débiteurs faisant l’objet d’une saisie immobilière voient la durée maximale du sursis à adjudication portée de 60 jours à 4 mois.
- Les règles spécifiques à la saisie pratiquée par le Crédit foncier et autres organismes assimilés sont purement et simplement abrogées.
3) La loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits instaure deux nouvelles causes de retrait de l’aide juridictionnelle (v. la rubrique Aide juridique de la mise à jour pour le détail de ces deux causes).
Par ailleurs, l’accès au droit est mieux défini dans le champ d’application de son aide (v. la rubrique Aide juridique) ; symboliquement, les conseils départementaux de l’aide juridique deviennent les conseils de l’accès au droit. Il en faudra plus pour rendre effectif celle-ci, à commencer peut-être par l’enseignement de notions élémentaire de droit dans les lycées et la création d’un CAPES juridique !
4) Le décret n° 98-965 du 30 octobre 1998 organise une procédure simplifiée et dérogatoire à la procédure ordinairement suivie devant le juge de l’exécution, en matière d’exécution des décisions de justice prononçant une expulsion. La demande sera formée par simple déclaration au greffe ou par envoi d’une lettre recommandée et le greffier convoquera le demandeur et le défendeur à l’audience.

c) La protection jurisprudentielle des clients des avocats en matière d’honoraires
A supposer que le justiciable, en tout cas le client d’un avocat, entre dans la catégorie des personnes en état de faiblesse par rapport à cet avocat, la Cour de cassation vient de décider de le protéger contre l’honoraire complémentaire et contre l’exagération en matière d’honoraires. Par trois arrêts du 3 mars 1998 et un autre du 1er juillet 1998, dont le lecteur trouvera les références dans la mise à jour, V° Avocat, la première chambre civile décide :
- d’une part, que le juge du fond peut réviser le montant des honoraires initialement convenus, « lorsque ceux-ci apparaissent exagérés au regard du service rendu » (arrêt SA Credimo) ; la même solution est appliquée à l’honoraire complémentaire que l’avocat a librement négocié avec le client qui bénéficie de l’aide juridictionnelle partielle (art. 35, loi du 10 juill. 1991), la cour estimant que ni ce texte, ni l’article 1134, C. civ. ne s’opposent à un tel pouvoir de révision judiciaire ;
- et, d’autre part, que l’octroi d’un complément d’honoraire de résultat requiert l’existence d’une convention préalable (arrêts SA Synthélabo et Soc. Juris Conseils de France).
La Cour de Paris a par ailleurs, dans un sens inverse, décidé que les barèmes indicatifs d’honoraires étaient prohibés en ce qu’ils constituent « une action concertée ayant pour objet et effet de fausser le jeu de la concurrence » (Paris, 9 déc. 1997). Cette jurisprudence ne va pas sans contradictions : d’un côté, protection des clients au nom d’un ordre public qui se concilie mal avec l’exercice d’une profession libérale et la confiance qui doit régner dans les relations des avocats avec leurs clients ; de l’autre, suppression de cette protection au nom d’un libéralisme qui va au-delà de l’exercice libéral de la profession d’avocat, car on peut douter que le caractère libéral ait été mis en cause par la publication de ces barèmes ; en revanche, il est certain qu’ils apportaient une réelle sécurité aux consommateurs du droit que sont les clients des avocats par la possibilité qui leur était ainsi offerte de connaître les tarifs pratiqués et de se faire une idée de ce qui leur était proposé par l’avocat qu’ils avaient choisi.

B) Une justice plus consensuelle
            Le temps est aux modes alternatifs de règlement des conflits (les MARC en abrégé). La loi du 18 décembre 1998 se réfère expressément, dans son intitulé, à la recherche de règlements amiables. Mais c’est surtout le décret du 28 décembre qui apporte, en cette matière, des innovations intéressantes. Les deux textes se complètent.

a) Le décret du 28 décembre 1998 contient plusieurs dispositions, disséminées dans le corps du texte, qui tendent à organiser et à favoriser les modes de résolution amiable des conflits. Il s’agit d’une part, des articles 9 et 10, d’autre part, des articles 23 à 26 et, enfin, de l’article 30.
1) Les articles 9 et 10 du décret complètent les textes sur la suspension de l’instance et sur la radiation, afin de favoriser le règlement amiable des litiges, sans encombrer inutilement la juridiction saisie d’affaires en cours de pourparlers. D’où un recadrage du retrait du rôle vers une mesure véritablement voulue par les parties et non pas plus ou moins imposée par leurs conseils ; d’où des dispositions qui mettront mal à l’aise les auxiliaires de justice.
- Le premier texte cité (art. 9) se contente de modifier l’article 377 du nouveau code pour faire du retrait (conventionnel) du rôle un troisième cas de suspension de l’instance (sans compter les cas « où la loi le prévoit »).
- Le second texte (art. 10) introduit dans la section que le nouveau code consacre à la radiation (articles 381 à 383) la notion de retrait (conventionnel) du rôle, notion que la Cour de cassation avait déjà dégagée en 1989 par un arrêt de son assemblée plénière en date du 24 novembre. Les deux concepts sont définis aux nouveaux articles 381 et 382 : la radiation reste une sanction du défaut de diligence des parties, qui continue d’entraîner la « suppression » (au lieu du « retrait » antérieurement au décret du 28 décembre) de l’affaire du rang des affaires en cours ; le décret ajoute dans l’article 381 l’obligation de notifier aux parties et à leurs représentants la décision de radiation (par lettre simple) et de préciser dans cette notification le défaut de diligences qui a servi de fondement à la radiation. Il faut y voir une menace pour les auxiliaires de justice dont les carences seront ainsi systématiquement dénoncées à leurs clients par le greffe ; on s’éloigne de la justice consensuelle qui inspire l’ensemble de ces dispositions et on peut se demander s’il était bien utile d’introduire une forme de délation dans les relations entre les professionnels de la justice et leurs clients. A l’inverse, le retrait du rôle ne peut être que conventionnel, consensuel, puisqu’il ne peut être ordonné que lorsque toutes les parties en font la demande ; mais le décret (nouvelle mesure de défiance à l’égard des professionnels de la justice) ne se contente pas de la parole des avocats ou avoués aux conférences de mise en état, puisqu’il exige une demande écrite et motivée de toutes les parties (article 382). L’objectif est donc clairement affiché : il ne s’agit pas de faciliter les retraits de complaisance au profit des auxiliaires de justice, mais de permettre d’évacuer du rôle des affaires en cours celles qui font l’objet de véritables pourparlers en vue d’une solution amiable et de désencombrer les tribunaux d’affaires inutilement inscrites à ce rôle. On rapprochera de cet objectif la phrase que l’on trouvait dans l’arrêt du 24 novembre 1989 : « au cas où les parties considèrent de leur intérêt d’éviter ou de différer une solution judiciaire, elles ont la possibilité de suspendre le cours de l’instance en formant une demande conjointe de radiation, laquelle s’impose au juge ». Il s’agit bien de différer ou d’éviter une solution judiciaire, mais le juge retrouve ici un pouvoir de contrôle de la demande de retrait de rôle, puisque cette demande doit être « motivée », ce qui sous-entend un contrôle de cette motivation ; on conçoit mal cependant, en pratique, qu’un juge puisse s’opposer à une demande conjointe de retrait de rôle.
- Dans les deux cas, radiation (unilatérale et sanctionnatrice) et retrait du rôle (conjoint et régulateur) les décisions qui les ordonnent sont des mesures d’administration judiciaire (art. 383, al. 1er, qui reprend la solution de l’ancien article 382 en l’étendant au retrait du rôle), donc insusceptibles de recours (art. 537), mais qui ne s’opposent pas à un rétablissement de l’affaire, sauf si la péremption a joué entre-temps, au vu soit de l’accomplissement des diligences (radiation), soit d’une demande de l’une des parties en ce sens (retrait du rôle) (art. 383, al. 2).
2) Les articles 23 à 26 apportent quelques retouches à la conciliation devant le tribunal d’instance que le décret n° 96-652 du 22 juillet 1996 avait déjà réorganisée :
- L’avis donné par le juge aux parties qu’il envisage de désigner un conciliateur le sera désormais par lettre simple et non plus par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception (article 832-1 modifié par l’article 23).
- Dans la procédure introduite par assignation à toutes fins, les conciliateurs de justice pourront être associés à ces tentatives de conciliation, puisque le nouvel article 840 prévoit dans son alinéa 2 que le juge peut, sans formalité particulière, mais avec l’accord des parties, désigner un conciliateur de justice pour conduire cette tentative. En fait, le décret consacre une pratique parisienne de certains tribunaux d’instance.
- La même possibilité est offerte au juge d’instance lorsque la procédure est introduite par requête conjointe ou par présentation volontaire des parties (article 847 modifié par l’article 25) ou par déclaration au greffe (article 847-3 ajouté par l’article 26). Dans ces deux derniers cas le juge tranche le différend si les parties ne parviennent pas à se concilier.
3) Enfin, l’article 30 du décret introduit dans le nouveau code (au titre 4 sur les obligations et les contrats) un article 1441-4 qui forme à lui tout seul le chapitre 6, pour organiser une procédure simplifiée, rapide et simple, de reconnaissance de la force exécutoire aux transactions conclues sous signatures privées. La demande est adressée au président du tribunal de grande instance, par l’une des parties à la transaction, dans la forme des requêtes. Rien n’est dit sur la compétence territoriale (quid lorsque la transaction détachée de toute instance en cours ?) ni sur la nature du contrôle auquel doit procéder le juge, notamment quant à l’assurance que la transaction présentée correspond bien à la volonté de tous les contractants.

b) La loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits étend la possibilité d’obtenir l’aide juridictionnelle aux pourparlers « en vue de parvenir à une transaction avant l’introduction de l’instance » (art. 1er-I, qui modifie l’article 10, al. 2 de la loi du 10 juillet 1991). La formule permet d’accorder ce bénéfice même en cas d’échec de ces pourparlers. Cependant, dans ce cas, la loi pose deux gardes-fous dans l’article 39 de la loi de 1991 (art. 1er-IV de la loi du 18 déc. 1998) :
- d’une part, le versement de la rétribution due à l’avocat est subordonné à la justification, dans les six mois de la décision d’admission à l’aide juridictionnelle, « de l’importance et du sérieux des diligences accomplies par ce professionnel » ;
- d’autre part, si une instance est engagée après l’échec des pourparlers, la rétribution versée à l’avocat à ce titre s’impute sur celle qui lui est due pour l’instance.
          
 C) Une justice plus rapide
            L’essentiel du décret du 28 décembre est bien là, permettre à la justice civile de traiter plus rapidement des affaires enrôlées, désencombrer à terme les rôles des juridictions civiles. Trois séries de dispositions, là encore disséminées dans le texte, peuvent être dégagées : les unes tendent à faciliter le travail du juge, les autres à accélérer l’instruction des affaires, les dernières à créer une véritable justice de l’urgence, non sans complications d’ailleurs. Toutes ne sont pas sans dangers potentiels pour la qualité de la justice qui sera rendue dans ces conditions nouvelles ; il faudra veiller à ce que vitesse et précipitation ne se confondent pas.

a) Faciliter le travail du juge
Cet objectif se manifeste à tous les niveaux de l’instance.
1) L’assignation qualificative. Dès l’introduction de l’instance par assignation, les parties auront l’obligation de préciser « l’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit », ainsi que l’exige désormais le nouvel article 56, al. 1er, 2°). En fait et en droit, dit le nouveau texte, mais n’était-ce pas déjà le cas dans la plupart des assignations, tout au moins lorsque les avocats jouaient le jeu déontologique de la qualification des prétentions ? (v. Bolard et Flécheux, D 1995, chron. 221). Cette obligation, désormais légale et non plus seulement déontologique, ne remet pas en cause les principes directeurs du procès civil, ces tables de la loi fondatrices de notre procédure civile contemporaine ; on ne saurait, à cet égard, invoquer les articles 6 et 12 pour y voir une atteinte à une summa divisio qui passerait par une division dogmatique entre le fait qui appartiendrait aux parties et le droit qui relèverait de la compétence exclusive du juge ; la doctrine contemporaine a maintes fois souligné que cette vision deviendrait caricaturale s’il fallait la tenir pour une répartition rigide du rôle respectif des parties et du juge. Avoir l’obligation d’alléguer les faits propres à fonder les prétentions (art. 6, NCPC) n’a jamais signifié que les parties ne pouvaient pas intervenir dans le domaine du droit ; d’ailleurs, l’article 12, al. 2 reconnaît implicitement aux parties la possibilité de qualifier les faits puisque le juge est fondé dans une telle hypothèse à donner ou restituer aux faits et aux actes litigieux leur exacte qualification, sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; de même et à l’inverse, avoir l’obligation de statuer en droit pour le juge (art. 12, al. 1er, NCPC) n’a jamais signifié que les parties se voyaient interdire toute intervention en ce domaine. La nouvelle rédaction de l’article 56 a donc le mérite de clarifier le rôle exact des parties, plus exactement de leurs représentants, dans la présentation de leur affaire au juge ; l’obligation légale d’exposer le droit conforte l’ardent impératif déontologique de qualifier les prétentions. N’est-ce pas le moins que l’on puisse exiger d’un auxiliaire de la justice ? Il n’est guère admissible qu’un dossier puisse être présenté sans un minimum de droit, avec seulement un exposé des faits, à charge pour le juge de se débrouiller avec cet exposé ; l’œuvre de justice est une œuvre commune et la chose commune se détermine dès l’introduction de l’instance. Nous verrons que le décret complète cette nouvelle obligation par de nouveaux pouvoirs accordés au juge pour exiger des parties qu’elles développent leurs prétentions en droit.
La sanction est la nullité de l’assignation puisque l’ajout est inséré dans l’alinéa 1er qui commence par ces mots « l’assignation contient à peine de nullité... ».
Cette sanction ne se retrouve pas pour l’autre exigence introduite par le décret du 28 décembre. Dans le même esprit de faciliter le travail du juge dès l’introduction de l’instance les parties devront non seulement continuer à indiquer les pièces sur lesquelles la demande est fondée, mais encore les énumérer dans un bordereau annexé à l’assignation (art. 56, al.2, réd. de l’art. 3-II du décret). Cet ajout figurant dans l’alinéa 2 de l’article 56 la nouvelle exigence échappe à toute sanction. Ces innovations se prolongent par d’autres obligations dans le déroulement de l’instance.
2) Les conclusions qualificatives et récapitulatives. Dans le déroulement de l’instance, le décret apporte deux innovations intéressantes, tant devant le tribunal de grande instance que devant la cour d’appel (en des termes quasiment identiques), innovations qui complètent la disposition nouvelle sur la rédaction de l’assignation. Au préalable on fera observer que si, pour la cour d’appel, ces deux règles figurent dans l’article 954, c’est à dire dans un chapitre commun à toutes les procédures, tant contentieuses que gracieuses, devant la formation collégiale de la cour, pour le TGI, elles ne sont exposées que dans l’article 753 qui, littéralement, ne concerne que la procédure en matière contentieuse devant le tribunal ; il aurait été préférable d’introduire ces nouvelles exigences dans l’article 815 commun à toutes les procédures engagées devant le TGI et son président.
·      Les conclusions qualificatives. Devant le TGI comme devant la cour d’appel, les conclusions font désormais l’objet de prescriptions de rédaction ; elles devront « formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit [rédaction, pour le TGI, du nouvel article 753 issu de l’article 13 du décret, alors que pour la cour d’appel le nouvel article 954 issu de l’article 29 du décret vise les moyens de fait et de droit] sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée » [par erreur typographique sans doute le texte de l’article 954 vise ses, alors que le démonstratif ou le possessif pluriel étaient grammaticalement plus justes]. Comme pour l’assignation, l’exigence de conclusions qualificatives, loin de constituer une aberration, a le mérite de renforcer l’obligation déontologique des auxiliaires de justice et, contrairement à ce qui a pu être avancé (v. R. Martin, JCP 1997, I, 4036 ; Procédures, fév. 1998, chron. n° 2), elle ne nécessite pas une modification de l’article 12, NCPC, car le juge ne perd pas son pouvoir de statuer en droit (v. Normand, RTDCiv. 1998, 467 à 469). En outre, un bordereau [qualifié de « récapitulatif » dans le texte de l’article 954 pour la cour d’appel], bordereau énumérant les pièces justifiant les prétentions, devra être annexé aux conclusions (art. 753 et 954, 1er).
Au cas où les avocats n’auraient pas satisfait aux exigences de l’article 753, al. 1er (formulation expresse des prétentions des parties et des moyens « en fait et en droit », bordereau énumérant les pièces justifiant les prétentions), le président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée (art. 761) ou le juge de la mise en état (art. 765, article applicable au conseiller de la mise en état) peut les inviter à mettre leurs conclusions (art. 761) ou leurs écritures (art. 765) en conformité avec les dispositions de l’article 753. Vertu du dialogue qui permettra d’accélérer l’instruction de l’affaire.
·      Les conclusions récapitulatives. L’innovation la plus radicale, celle qui avait donné lieu à des réactions parfois très vives des professionnels concernés, consiste dans l’obligation qui pèse désormais sur les parties et leurs représentants de « reprendre dans leurs dernières conclusions (art. 753, al. 2, pour le TGI), ou « écritures » (art. 954, al. 2, pour la cour d’appel,), « les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures » (art. 753 pour le TGI) ou « précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures » (art. 954 pour la cour d’appel). C’est tout le problème des conclusions dites récapitulatives, que le nouveau code connaissait déjà mais uniquement en appel et à titre facultatif, seulement si le juge sollicitait des avoués la récapitulation des moyens « successivement présentés » (art. 954, al. 2 ancien) ; les prétentions elles-mêmes n’étaient pas visées. La faculté est étendue au tribunal de grande instance et, surtout, devient une exigence légale, ce qui introduit un facteur d’autorité dans les relations du juge avec les parties qui se substitue au dialogue, vertu contemporaine du procès civil qu’il convient de restaurer et de promouvoir. L’obligation est aussi étendue aux prétentions, ce qui devrait briser la solution admise par la Cour de cassation dans un arrêt de sa deuxième chambre civile rendu le 7 janvier 1998 (Procédures, avr. 1998, n° 79, obs. Perrot) qui estimait, à juste titre, en raison de la rédaction initiale de l’article 954, que le défaut de récapitulation des moyens ne pouvait permettre de considérer que les prétentions étaient aussi regardées comme abandonnées, en dehors de tout renoncement exprès ou implicite ; le juge ne pouvait se permettre de ne retenir que les seules prétentions formulées dans les dernières conclusions. Cette jurisprudence nous semble caduque : dès lors que des prétentions n’auront pas été reprises dans les dernières conclusions, elles devront être considérées comme abandonnées ; l’absence de récapitulation constitue désormais un signe d’abandon, pour les prétentions comme pour les moyens. Il sera prudent, pour les parties, de reprendre les prétentions et les moyens dès le deuxième jeu de conclusions, pour éviter toute contestation sur le sens de l’expression « dernières conclusions » (the last, but not the least).
- Que doit-on entendre par reprise des prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans les conclusions antérieures ? On pourrait ergoter sur le changement de terminologie intervenu à la fois par rapport au texte initial de l’article 954 (rédaction du décret du 17 déc. 1985) et par rapport à un premier projet de décret soumis à la consultation des professions judiciaires en avril 1998 : le texte définitif, tant dans l’article 753 que dans l’article 954 n’impose que de « reprendre », pas de récapituler. On pourrait ainsi y voir une reprise matérielle par opposition à une récapitulation intellectuelle ! Si tel devait être le sens à donner à la nouvelle obligation légale imposée aux parties, le changement serait sans portée réelle et peu contraignant pour les auxiliaires de justice, puisqu’avec les moyens modernes de traitement de texte il est aisé de pratiquer un « coupé-collé » pour satisfaire, matériellement parlant, à l’exigence de la reprise des prétentions et moyens présentés ou invoqués antérieurement. Ce n’est sans doute pas la volonté des rédacteurs du texte, surtout si l’on consulte les recommandations du rapport de M. Coulon. Il s’agit bien ici de reprise intellectuelle, donc de véritable récapitulation impliquant un travail réel de réécriture, voire de fusion des prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués, dans un ordonnancement nouveau qui ne soit pas simplement l’addition matérielle des prétentions et moyens précédents. Le succès de cette exigence résidera dans la capacité et la volonté des professionnels concernés de jouer le jeu de la reprise aux fins de faciliter le travail du juge.
- Quant à la portée de la récapitulation et la sanction de la non-récapitulation, le texte promulgué est différent du projet initial. Alors que ce dernier prévoyait l’annulation pure et simple des conclusions antérieures, par le seul dépôt de conclusions récapitulatives, lesquelles remplaçaient les conclusions antérieures, les articles 753 et 954 nouveaux ne parlent plus d’annulation, concept sans doute inadapté à la situation envisagée. Que l’on songe par exemple aux conséquences qu’aurait eues l’annulation en matière de diffamation : le diffamé devant, pour interrompre la prescription, déposer des conclusions tous les trois mois, ce dépôt annulant les écritures antérieures, il aurait, juridiquement parlant, annulé l’interruption de la prescription ! Mêmes errements auxquels aurait conduit l’annulation si une partie ayant omis de soulever in limine litis, une exception de procédure dans ses premières conclusions, avait ensuite pu la présenter dans des conclusions récapitulatives par le jeu de l’annulation des conclusions antérieures ! La fiction juridique que représente l’annulation (faire que ce qui a été ne soit pas) doit être maniée avec précaution par les juristes. C’est sans doute pourquoi il n’est question, dans le texte publié, que de la sanction de la non-récapitulation par le double jeu d’une présomption (irréfragable ?) d’abandon de ce qui n’aura pas été repris dans les dernières conclusions (d’où l’importance de connaître l’étendue de la notion de reprise, matérielle ou intellectuelle) et de l’autorisation donnée au tribunal (ou à la cour) de ne statuer que sur les dernières conclusions déposées. Sanction atténuée par deux autres dispositions d décret, puisque l’article 761 (rédaction de l’article 14 du décret) et l’article 765 du nouveau code (rédaction de l’article 15 du décret) permettent respectivement au président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée ou au juge de la mise en état (donc au conseiller de la mise en état) d’inviter les avocats (ou les avoués) à mettre les conclusions des parties (art. 761) ou leurs écritures (art. 765) « en conformité avec les dispositions de l’article 753 » c’est à dire, pour ce qui nous intéresse ici, à récapituler s’ils avaient oublié de le faire. Cela permettra, dans le premier cas de convoquer les avocats pour une ultime conférence avec le président et, dans le second cas, d’améliorer la qualité de la mise en état de l’affaire. Mais si cette invitation est faite et n’est pas suivie d’effets, la sanction n’en sera que plus aisément appliquée !
3) La rédaction simplifiée des jugements. Le travail du juge sera encore facilité lors de la rédaction du jugement, puisque l’alinéa 1er de l’article 455 du nouveau code est complété d’une phrase (art. 11 du décret) autorisant le juge à n’exposer les prétentions et moyens des parties que par « un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date ». Cette disposition ne facilitera pas pour les tiers et autres commentateurs des décisions de justice, la lecture et la compréhension des jugements, puisqu’ils n’auront pas connaissance des écritures des parties ; il faudra sérieusement envisager le rétablissement des qualités, ce qui permettrait de revenir à une conception du jugement œuvre commune des parties et du juge. En outre, le risque est réel d’une dénaturation plus fréquente des prétentions et moyens des parties, car ce qui ne passe par la main (ou le clavier de l’ordinateur) est souvent moins bien compris que ce qui a fait l’objet d’une mise en forme personnelle. En revanche, la recommandation d’une motivation allégée n’a pas été retenue, notamment l’idée que le juge puisse ne développer pleinement que les motifs retenus pour asseoir la décision (rapport Coulon, Doc. fr. 1997, p. 104) ; le risque était trop fort que l’allégement de la motivation ne soit que le début de la paresse et de l’arbitraire (en ce sens v. nos observations au colloque sur le temps et la procédure, TGI Nanterre, déc. 1995, rapport sur les solutions d’organisation procédurale, Dalloz éd., 1996, collec. Thèmes et commentaires, p. 56).

b) Accélérer et améliorer l’instruction des affaires civiles
1) Instauration d’un juge spécialisé dans le contrôle des mesures d’instruction confiées à un technicien. L’article 5 du décret introduit, dans le nouveau code de procédure civile, un article 155-1 qui permet au président d’une juridiction d’installer un juge spécialisé dans le contrôle de l’exécution des mesures d’instruction confiées à un technicien ; l’initiative en reviendra au président de chaque juridiction qui jugera si l’intérêt d’une bonne administration de la justice dans sa juridiction justifie la création de ce juge. Si cette décision est prise, cela ne signifie pas que ce juge se verra confier le contrôle de toutes les mesures d’instruction confiées à un technicien. En effet, le décret du 28 décembre maintient en vigueur l’article 155, dont les deux premiers alinéas prévoient que le contrôle de ces mesures est confié au juge qui a ordonné la mesure (al. 1er) ou, en cas de mesure ordonnée par un formation collégiale, au juge chargé de l’instruction et, à défaut au président de cette formation s’il n’a pas été confié à un membre de celle-ci (al.2, dont la rédaction subit quelques retouches de rédaction purement formelles). C’est seulement si le juge chargé de l’instruction ou la formation collégiale le décident que le contrôle sera confié au juge spécialisé (art. 155, al. 3 nouveau, issu de l’article 4 du décret). On peut penser que le président qui aura instauré un juge spécialisé veillera à ce qu’il soit abondamment pourvu en mesures d’instruction à contrôler ! Pour être complet on précisera que l’article 777 du nouveau code est mis en conformité avec ces nouvelles dispositions en énonçant que si le principe demeure que le juge de la mise en état contrôle l’exécution des mesures qu’il ordonne, c’est désormais « sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l’article 155 » (art. 18 du décret).
2) Encadrement du coût et des délais de l’expertise. Plusieurs dispositions viennent accroître les obligations qui incombent à l’expert ou aux parties dans le but de rendre l’expertise plus rapide et moins coûteuse.
- Ainsi, l’expert devra dorénavant informer le juge non seulement de l’avancement de ses opérations, mais aussi « des diligences par lui accomplies » (art. 273 complété par l’article 6 du décret.
- Quant aux parties elles seront sanctionnées par la juridiction de jugement en cas de défaut de communication de documents à l’expert ; en effet, la juridiction de jugement pourra « tirer toute conséquence de droit » de ce défaut de communication (art. 275, al. 2, complété par l’article 7 du décret).
- Enfin, la rémunération de l’expert est elle aussi mieux encadrée : en premier lieu, le nouvel article 284 (réd. de l’art. 8 du décret) précise qu’au dépôt du rapport le juge doit fixer cette rémunération en tenant compte « notamment des diligences accomplies, du respect des délais impartis et de la qualité du travail fourni » (al. 1er). Le dernier critère (la qualité du travail fourni) pose la question de la réaction de la formation de jugement lorsqu’elle prendra connaissance de cette motivation ; que fera-t-elle en présence d’un rapport de piètre qualité ? En second lieu, au cas où le juge envisage de fixer la rémunération de l’expert à un montant inférieur au montant demandé, il doit au préalable inviter l’expert à présenter ses observations (al. 3). On soulignera que la délivrance d’un titre exécutoire par le juge reste prévue (al. 4).
3) Obligations nouvelles à la charge des auxiliaires de justice. Dans la suite de l’obligation imposée aux parties de déposer des conclusions qualificatives et, le cas échéant, récapitulatives (art. 753 nouveau), les articles 14 et 15 du décret, déjà signalés, complètent les articles 761 et 765 pour permettre respectivement au président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée ou au juge (ou au conseiller) de la mise en état d’inviter les avocats (ou les avoués) à mettre leurs conclusions (ou écritures dans l’article 765) en conformité avec les nouvelles dispositions de l’article 753. Ce nouveau pouvoir d’injonction doit être rapproché de l’actuel 13 du nouveau code qui permet au juge d’inviter les parties à fournir les explications de droit qu’il estime nécessaires à la solution du litige. Dans le premier cas l’invitation du président lui permettra d’utiliser le circuit court de la conférence avec les avocats pour mettre l’affaire en état ; dans le second cas, le juge (ou le conseiller) de la mise en état pourra parvenir plus rapidement à une clôture de l’instruction.
4) Accroissement des pouvoirs du juge de la mise en état quant aux exceptions de procédure et adaptation du régime des voies de recours. Désormais le juge de la mise en état est compétent pour connaître de toutes les exceptions de procédure que lui présenteraient les parties postérieurement à sa désignation et jusqu’à son dessaisissement, alors que dans le droit antérieur au décret du 28 décembre il ne pouvait connaître que des exceptions dilatoires et des nullités pour vice de forme (art. 771, al. 2, réd. issue de l’article 16 du décret). L’objectif est clair : arriver à l’audience de jugement avec un dossier complètement apuré de tous les incidents de procédure ; ainsi se profile plus nettement qu’autrefois une instance en deux phases fonctionnellement bien distinctes : une phase d’instruction et de jugement des incidents et une phase de jugement au fond. Il s’agit de faciliter le travail des juges du fond.
Corrélativement, le juge de la mise en état pouvant désormais statuer sur des exceptions de compétence, l’article 17-I du décret introduit dans l’article 776 du nouveau code l’interdiction du contredit contre les ordonnances de ce juge ; en revanche, l’appel sera possible, dans les quinze jours de la signification de l’ordonnance statuant sur une exception d’incompétence, de litispendance et de connexité (art. 776, al. 3-4°, issu de l’article 17-II du décret). Lorsque c’est le conseiller de la mise en état qui a statué sur une exception d’incompétence, de litispendance ou de connexité, c’est le déféré de l’article 914 qui sera utilisé contre son ordonnance ; l’article 29 du décret complète l’article 914 en ce sens.
5) Information du défaillant dans la procédure de refus du renvoi de l’affaire au tribunal. On sait que lorsque l’un des avocats n’a pas accompli les actes de la procédure dans le délai imparti, à la demande d’une autre partie ou d’office le juge de la mise en état peut clore l’instruction et renvoyer l’affaire devant le tribunal ; il peut aussi refuser le renvoi au tribunal par ordonnance motivée non susceptible de recours (art. 780). Le décret du 28 décembre (art. 19) ajoute au texte pour que la partie défaillante soit informée de ce refus : désormais, l’ordonnance de refus lui sera adressée, à son domicile réel ou à sa résidence.

c) Créer une véritable justice de l’urgence
Plusieurs dispositions dessinent, si on les rapproche, l’ébauche d’une véritable justice de l’urgence.
1) Simplification et accélération de la technique de la passerelle devant le TGI. L’article 21 du décret rétablit un article 811 qui améliore sensiblement la technique de la passerelle entre la procédure de référé et la procédure au fond devant le TGI ; désormais, le juge des référés peut directement fixer dans son ordonnance de non lieu à référer la date de l’audience au fond, sans qu’une nouvelle assignation soit nécessaire, puisque « l’ordonnance emporte saisine du tribunal ». La passerelle doit être demandée par l’une des parties et être justifiée par l’urgence ; le juge doit veiller à ce que le défendeur dispose d’un temps suffisant pour préparer sa défense. Pour la constitution d’avocat par le défendeur et pour le déroulement de l’audience, l’article 811 renvoie respectivement aux dispositions des articles 790 et 792, al. 2 à 4. En conséquence de ce nouveau texte, l’article 788, dernier alinéa est abrogé par l’article 20 du décret, ce qui a pour effet de ne plus permettre une utilisation d’office de la passerelle ; la technique doit obligatoirement être demandée par l’une des parties. La technique n’a pas été étendue au tribunal d’instance, pas plus qu’au tribunal de commerce ; sans doute une occasion manquée.
2) L’accélération, en appel, du circuit court de l’article 910, al. 2. Le décret du 28 décembre crée une audience à bref délai dans le cadre des dispositions de l’article 910, al. 2 qui, pour l’essentiel, sont maintenues sur les autres points. Lorsque l’affaire semble présenter un caractère d’urgence ou être en état d’être jugée (le texte ne vise plus le critère de pouvoir être jugée à bref délai), le président de la chambre saisie, d’office ou à la demande de l’une des parties, « fixe à bref délai l’audience à laquelle elle sera appelée ». Le texte ne se contente donc plus d’une fixation aux « jour et heure auxquels l’affaire sera appelée ». Il est clair que les rédacteurs du décret ont voulu renforcer la possibilité offerte aux parties et au président d’accélérer en appel le jugement des affaires urgentes (en apparence au moins) ou en état d’être jugée (en apparence aussi). La seule difficulté consistera à trouver une date d’audience à bref délai pour toutes les affaires qui répondront à l’une de ces conditions ! A force de créer des procédures accélérées on s’apercevra vite que tout est urgence et que les disponibilités des juridictions ne permettront pas de répondre aux demandes. Pour le reste il est procédé, comme précédemment, selon les dispositions des articles 760 à 762 (renvoi à l’audience).
3) La nouvelle complexité de l’appel des ordonnances de référé. Avec le nouvel article 490-1 que l’article 12 du décret introduit dans le nouveau code, c’est à un bouleversement du régime de l’appel des ordonnances de référé auquel on assiste ; le régime de l’appel va désormais dépendre du fondement textuel du référé, avec un appel à plusieurs vitesses (trois) :
- pour tous les référés autres que ceux des articles 808 et 809, al. 1er, et notamment pour le référé-provision de l’article 809, al. 2 ou pour les référés des tribunaux d’exception, en l’absence de péril, l’appel suivra les règles du circuit ordinaire actuel (première vitesse). En revanche, en cas de péril, l’alinéa 2 du nouvel article 490-1 permet une instruction et un jugement de cet appel « dans les conditions et selon la procédure de l’article 917 » (procédure à jour fixe lorsque les droits d’une partie sont en péril ; deuxième vitesse).
- Pour les référés des articles 808 et 809, al. 1er, c’est le régime particulier de l’audience à bref délai qui jouera (le 910, al. 2 renforcé que nous venons de présenter), sans que le péril soit nécessaire à la mise en œuvre de cette procédure (troisième vitesse). L’article 490-1, al. 1er impose cette procédure au président de la chambre à laquelle l’ordonnance est distribuée ; l’indicatif (« le président... fixe à bref délai l’audience à laquelle l’ordonnance sera appelée ») vaut impératif. Il sera procédé selon les modalités prévues aux articles 760 à 762 (renvoi à l’audience).

ii - une justice sous l’influence du droit processuel européen
            L’article 6, §1er de la Convention européenne des droits de l’homme manifeste son emprise en procédure civile, tant par la jurisprudence de la Cour européenne (devenue organe unique de la Convention au 1er novembre 1998, par l’entrée en vigueur du protocole numéro 11) (A), que par son visa dans des arrêts de la Cour de cassation, notamment dans deux arrêts de son assemblée plénière (B)
            A) Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
Des arrêts importants ont été rendus par la Cour européenne en 1998 (ou fin 1997), dont certains, malheureusement, contre la France et dans des domaines très variés.

a) Le droit d’accès à un tribunal
On soulignera que dans un arrêt Aerts c/ Belgique du 20 juillet 1998, la Cour européenne considère que le filtrage des demandes d’aide juridictionnelle devant la Cour de cassation belge, filtrage fondé sur l’appréciation de la justesse de la prétention, « porte atteinte à la substance même du droit à un tribunal ».
Or, le système français est assez proche, puisque le bureau d’aide juridictionnelle devant la Cour de cassation filtre les demandes d’aide en fonction de l’appréciation du caractère sérieux du moyen invoqué à l’appui du pourvoi (art. 7, al. 3, loi 10 juill. 1991). Il y a là un risque de condamnation de la France et de remise en cause de notre système d’aide juridictionnelle.
Les risques nous semblent moins importants devant les juridictions du fond car l’appréciation portée sur la demande ne peut conduire à un rejet de la demande d’aide que si le bureau considère que la prétention est manifestement infondée ou irrecevable.

b) Le droit à une procédure contradictoire, même devant la Cour de cassation et dans les relations des parties avec le ministère public
C‘est essentiellement au niveau des cours suprêmes des différents Etats européens que la question des relations entre les parties et le ministère public a été posée, tant en matière civile qu’en matière pénale, mais les solutions de la matière pénale sont parfois transposables. Trois questions distinctes se posent, la présence du ministère public au délibéré de la Cour de cassation, la réplique des parties aux conclusions du ministère public et la disparité dans la communication de documents au ministère public devant la Cour de cassation, mais pas aux parties.
1) Le premier point n’ayant pas donné lieu à une jurisprudence européenne fin 1997 ou au cours de l’année 1998, il ne sera pas abordé ici.
2) Quant au deuxième, celui de la possibilité offerte aux partie de répliquer aux conclusions du ministère public, il concerne tant les juridictions du fond que la Cour de cassation, avec des dispositions communes dans les articles 443 et 445.
- Lorsqu’il est partie jointe, le ministère public a la parole en dernier (article 443, al. 1er, NCPC). Mais les parties peuvent transmettre à la juridiction des notes en délibéré, spécialement « en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public » (article 445). Cette disposition peut sans doute permettre de respecter le contradictoire à ce niveau, v. Perrot, obs. RTDCiv. 1997, 992.
La Cour européenne considère que le respect du principe de l’égalité des armes exige que le demandeur d’une indemnité pour une détention subie, obtienne communication des observations du procureur général devant la Cour d’appel et qu’il ait la possibilité de les commenter, CEDH, 24 nov. 1997, Werner c/ Autriche : Rec. 1997-VII, Vol. 56, p. 2496.
- Mise à disposition des parties des conclusions écrites du parquet ? Cette obligation n’est prévue que par l’article 431 lorsque le parquet n’étant ni partie principale, ni représentant d’autrui, ni tenu d’assister à l’audience, ne souhaite pas effectivement y assister et adresse au tribunal des observations écrites ; l’article 431 lui impose alors de communiquer aux parties ses conclusions, plus exactement de les mettre à leur disposition, mais la cour de cassation considère que, dans ce cas, il n’est pas tenu de les communiquer aux parties avant l’audience et qu’il suffit qu’il les mette à leur disposition le jour de l’audience, Civ. 1ère, 20 juill. 1994 : Bull. I, n° 259. Cette solution ne nous paraît guère conforme aux exigences de la convention européenne des droits de l’homme.
- La question prend un tour plus particulier devant la Cour de cassation, la Cour européenne ayant jugé contre la Belgique et contre le Portugal, que si elle ne doute pas que le ministère public devant les juridictions suprêmes de ces Etats soit un magistrat indépendant, impartial et objectif, dans la mesure où il émet un avis qui est destiné à influencer la Cour, les parties doivent en avoir connaissance. Ce n’est pas son objectivité qui est en cause, mais le respect du contradictoire, ainsi que nous l’avions déjà signalé dans la synthèse pour l’année 1997 : CEDH, 20 fév. 1996, arrêts Vermeulen c/ Belgique et Lobo Machado c/ Portugal : Rec. 1996-I, vol. 3, 210 ; AJDA 1996, 1028, obs. Flauss ; RTDCiv. 1996, 1028, obs. Marguenaud ; ibid. 1997, 992, obs. Perrot et 1006, obs. Marguenaud et Raynard ; RTDEur.1997, 373, note Fl. Benoît-Rohmer ; Clunet 1997, 203, obs. P.B. ; Justices, 1997-5, 195, obs. Cohen-Jonathan et Flauss ; D. 1997, som. com. 208, obs. Fricero.
Ces affaires sont d’autant plus intéressantes, qu’intervenant après l’arrêt Borgers de 1991, la Cour européenne ne reprend plus l’argument de la présence du ministère public au délibéré ; il suffit qu’il n’ait pas transmis ses observations à la partie pour qu’il y ait violation du principe de l’égalité des armes. Cette jurisprudence a été confirmée par quatre arrêts rendus en 1997 et en 1998, l’un à nouveau contre la Belgique, le deuxième contre l’Autriche et les deux derniers contre les Pays-Bas, CEDH, 25 juin 1997, arrêt Van Orshoven c/ Belgique : Rec. 1997-III, vol. 39, 1039 ; D. 1997, som. com. 359, obs. Fricero ; AJDA 1997, 988, obs. Flauss ; JDI 1998, 197, obs. P. Tavernier ; RGDP 1998, 237, obs. Flauss. CEDH 24 nov. 1997, arrêt Werner c/ Autriche : RGDP 1998, 238, obs. Flauss. CEDH 27 mars 1998, arrêt J. J. c/ Pays-Bas, série A, n° 201 (en matière fiscale). CEDH 27 mars 1998, arrêt K. D. B. c/ Pays-Bas, série A, n° 202 (en matière civile).
Mais la Cour européenne ouvrait la voie à une possibilité d’échapper à la condamnation avec la pratique des notes en délibéré, d’ailleurs expressément visées par la Commission européenne, Commission, 10 oct. 1994, affaire Lassauzet et Guillot c/ France : AJDA 1996, 384, obs. Flauss. Or il se trouve que la Cour de cassation française a une pratique interne conforme à cette possibilité ouverte aux parties par le NCPC, v. J.F Burgelin, Allocution du 10 janv. 1997 ; Gaz. Pal. 24 mai 1997. Et la Cour européenne a considéré que cette pratique française « eu égard au fait que seules les questions de pur droit sont discutées devant la Cour de cassation et que les parties y sont représentées par des avocats hautement spécialisés, est de nature à offrir à celles-ci la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes », CEDH 31 mars 1998, arrêt Mme Reinhardt et Slimane Kaïd c/ France : Recueil 1998-II, n° 68, p. 640 ; RTDCiv. 1998, 512, obs. Marguenaud et Raynard ; Procédures juill. 1998, n° 177, obs. Buisson. Certes, l’arrêt a été rendu en matière pénale, mais le coup de chapeau est transposable, non seulement en raison de la généralité de ses termes, mais aussi parce que dans cette affaire la Cour européenne avait pris soin de souligner (§74 et §75) que le ministère public devant la Cour de cassation « n’agit qu’en qualité de partie jointe à l’action pénale » et que « sa mission n’est pas de soutenir l’accusation mais de veiller à l’exacte application de la loi ». En l’espèce, la preuve que la pratique de la note en délibéré existait en 1993, à l’époque des faits, n’étant pas rapportée, la Cour retient ce chef pour condamner la France. Dans les deux arrêts rendus en assemblée plénière le 6 novembre 1998 et analysés infra B et dans la mise à jour, V° Convention européenne, la Cour de cassation ne manque de relever que les parties ont mises à même de répondre aux conclusions du ministère public.
3) Troisième problème : la disparité dans la communication de documents au ministère public devant la Cour de cassation, mais pas aux parties. La France a été condamnée pour une autre raison dans l’affaire précitée du 31 mars 1998. La Cour européenne relève une disparité constitutive d’un manquement à la garantie d’un procès équitable dans le fait que l’avocat général près la Cour de cassation reçoit communication du rapport du conseiller-rapporteur et du projet d’arrêt, alors que les parties ne reçoivent que le premier volet du rapport (exposé des faits, procédure suivie, moyens de cassation) et, quelques jours avant l’audience, le sens de l’avis du rapporteur (§ 105). Comment rétablir l’équilibre ? Soit en communiquant aux parties les mêmes documents qu’au ministère public, soit en ne communiquant rien aux deux. On a fait observer, en reprenant un argument développé par la Cour européenne, que la première solution présenterait l’inconvénient de violer le secret du délibéré ; l’argument n’est guère pertinent, car s’il y a déjà violation elle est admise, mais au seul profit du ministère public ; ensuite, y a-t-il vraiment violation, alors qu’il ne s’agit que d’un projet d’arrêt ? Affaire à suivre sans doute.

c) L’étendue de l’obligation de motiver les jugements
Sur la question de la motivation, la position de la Cour européenne n’est pas très favorable à sa reconnaissance comme composante à part entière du procès équitable.
1) Pour s’en tenir aux seuls arrêts rendus en 1998 ou fin 1997, on signalera essentiellement l’arrêt Higgins qui condamne la France pour absence de motivation d’un arrêt ... de la Cour de cassation ! CEDH, 19 fév. 1998, arrêt Higgins c/ France : RGDP 1998, 240, obs. Flauss ; RTDCiv. 1998, 516, obs. Marguenaud et Raynard (non-réponse, par la Cour de cassation, à un chef de délocalisation d’une procédure civile, puis refus de préciser sa pensée sur une requête en rectification d’erreur matérielle).
2) Deux mois plus tôt, la Cour européenne avait précisé que la motivation par incorporation des motifs des premiers juges est possible si les questions essentielles ont été réellement examinées et si la juridiction n’a pas purement et simplement entériné les conclusions de la juridiction inférieure, CEDH, 19 déc. 1997, arrêt Helle c/ Finlande : RGDP 1998, 239, obs. Flauss (sur ce dernier point en droit français, v. infra).
3) à propos des lois de validation et de la protection du pouvoir judiciaire contre ces lois, la Cour européenne a évolué, fin 1997, dans un sens peu favorable à la protection des justiciables.
- Elle avait d’abord posé, fin 1994, le principe que la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'art. 6 s'opposent à toute ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice dans le but d'influencer sur le dénouement judiciaire d'un litige ; la Cour européenne s’opposait ainsi à ce qu’une loi de validation permette à un Etat d’échapper à une condamnation prononcée par une sentence arbitrale, CEDH, 9 déc. 1994, arrêt des Raffineries grecques c/ Grèce : JCP 1995, I, 3827, n° 17, obs. Sudre ; Gaz. Pal. 28 sept. 1995, note D. Worms ; Clunet 1995, 796, obs. Tavernier ; Rev. arb. 1996, chron. Ali Bencheneb ; RGDP 1998, 241, obs. Flauss.
- Fin 1997, elle considère que l’article 6 §1 ne peut « s’interpréter comme empêchant toute ingérence des pouvoirs public dans une procédure judiciaire pendante à laquelle ils sont parties ». Elle admet donc, d’une façon surprenante, qu’un état, partie à une procédure fiscale, puisse valider rétroactivement les dispositions fiscales litigieuses, objet des procédures pendantes, CEDH, 23 oct. 1997, arrêt National et Provincial Buildings Society et alii c/ Roy. Uni (§112) : JCP 1998, I, 107, n° 25, obs. (crit.) Sudre ; RGDP 1998, 241, obs. Flauss.
         
B) Jurisprudence de la Cour de cassation
Par deux arrêts rendus en assemblée plénière le 6 novembre 1998 et dont le lecteur trouvera l’analyse dans la mise à jour annuelle, la Cour de cassation consacre avec éclat l’exigence européenne d’un tribunal indépendant et impartial, contre les conclusions de son procureur général, en interdisant désormais à un juge des référés ayant accordé une provision au créancier dont l’obligation n’est pas sérieusement contestable, de siéger au fond dans la même affaire. La solution est d’autant plus nette que l’interdiction est rejetée lorsque le juge des référés n’a ordonné qu’une mesure conservatoire, d’où d’ailleurs l’importance de fixer un critère précis de la notion de mesure conservatoire par rapport à la mesure provisoire.
Au-delà des difficultés d’application de cette solution, au quotidien, dans les juridictions, pour des questions d’intendance, on ne peut qu’approuver la position prise par la Cour de cassation. L’intendance ne peut servir d’alibi au refus d’une conception objective de l’impartialité. Ce qui compte au final, c’est que le juge vienne à l’audience, juge, sans pré-jugement, sans que son jugement soit altéré, si peu que cela soit, par une connaissance antérieure de l’affaire. La confiance dans la justice et dans ses juges se mérite par l’assurance qu’ont les justiciables que ceux qui seront amenés à se prononcer n’ont aucune idée préconçue de leur affaire. Il restera à régler le cas du juge aux affaires familiales qui, en matière de divorce, ordonne des mesures provisoires et, ensuite, juge au fond ; ne faudra-t-il pas distinguer cette hypothèse de celle du juge des référés, de la même façon que, pour les juridictions des mineurs, les principes d’indépendance et d’impartialité sont assouplis ?

II - Synthèse pour 1999
La pause dans les réformes de procédure civile

            Après l’importante réforme opérée par le décret du 28 décembre 1998 (v. notre précédente synthèse pour l’année 1998), l’année 1999 aura été marquée par une pause législative et réglementaire, sans doute en vue de permettre une « digestion » des nouvelles dispositions par les juridictions ; on relève bien quelques textes modifiant le nouveau code de procédure civile ou les lois et décrets régissant l’organisation judiciaire et les professions juridiques et judiciaires, mais rien de comparable avec le décret précité du 28 décembre 1998. Une année calme, qui permet d’attirer l’attention sur la Cour de cassation (I), celle-ci ayant été au centre de deux réformes et sur quelques professions judiciaires réglementées (II), avant de donner un aperçu des principales réformes de procédure civile (III) et de procédures d’exécution et de surendettement des particuliers (IV).

i) les réformes touchant à la cour de cassation
Elles concernent tant la procédure elle-même (A) que la profession d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation (B).
            a) le décret n° 99-131, du 26 février 1999 portant réforme de la procédure de cassation
Le texte est applicable au 1er mars 1999 (article 14 du décret).
Afin de faciliter l’intégration de ce bref commentaire dans les articles des codes concernés, nous suivrons l’ordre du décret. Néanmoins, il convient de préciser préalablement d’une manière plus synthétique, que le décret vise, à titre principal, trois objectifs :
- renforcer le caractère extraordinaire du pourvoi en cassation (article 611-1 qui exige une signification préalable de la décision attaquée ; article 984 qui interdit désormais la déclaration de pourvoi au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée lorsque la procédure est sans représentation obligatoire ; articles 1009-1 à 1009-3 qui renforcent la procédure dite du 1009-1 en faisant de cette possibilité offerte au premier président une obligation lorsqu’il est saisi par le défendeur au pourvoi et que les conditions en sont réunies) ;
- faciliter le travail du juge en harmonisant les jugements et pièces qui doivent être produits par les parties, que la procédure soit avec ou sans représentation obligatoire (articles 979 et 988) ;
- accélérer le traitement des affaires en cassation (articles 611-1, 989, 1009 et 1026)
Accessoirement, le décret :
- met en harmonie avec la loi du 23 avril 1997 (deux ans après !) la partie réglementaire du code de l’organisation judiciaire quant à la composition des assemblées plénières et quant à la possibilité de procéder à des remplacements de conseillers empêchés (articles R.131-3, R. 131-6 et R. 131-7, COJ) ;
- remplace le mot secrétaire par celui de greffier (articles 986 et 987) ;
- institutionnalise une pratique interne à la Cour de cassation sur la consultation d’une chambre par une autre (article 1015-1).
1°) dispositions modifiant le nouveau code de procédure civile (articles 4 à 13 du décret)
Dans l’ordre du nouveau code on trouve :
a) Article 611-1 : la recevabilité du pourvoi
            Ce nouvel article conditionne la recevabilité du pourvoi en cassation à la signification préalable de la décision attaquée, lorsque cette signification n’incombe pas au greffe de la juridiction qui l’a rendue. Cette signification fera courir le délai d’exercice du pourvoi, ce qui obligera le demandeur au pourvoi à contester plus tôt la décision attaquée. On devrait aussi éviter que des pourvois ne soient formés tardivement, au moment où survient l’exécution.
Sur une conséquence quant aux actes à produire dans la déclaration de pourvoi, v. infra, article 979.
b) Article 979 : décisions et pièces à remettre à l’appui du pourvoi dans la procédure avec représentation obligatoire
            Le décret renforce les exigences de production de décisions et pièces à l’appui du pourvoi dans la procédure avec représentation obligatoire. Désormais, le demandeur doit fournir non seulement copie de la décision attaquée et copie de la décision confirmée ou infirmée par la décision attaquée, mais aussi copie des actes de signification (en relation avec la nouvelle exigence de l’article 611-1), copie de toute autre décision rendue dans le même litige et à laquelle la décision attaquée fait référence. Comme par le passé, le demandeur doit également joindre les pièces invoquées à l’appui du pourvoi.
            On remarquera que le décret a maintenu la sanction de l’irrecevabilité du pourvoi prononcée d’office, la Cour européenne des droits de l’homme ayant jugé cette sanction conforme à la Convention européenne (cf. le commentaire de l’article 979).
c) Article 984 : modification des conditions de la déclaration de pourvoi dans la procédure sans représentation obligatoire
            La procédure sans représentation obligatoire bénéficiait jusqu’au 1er mars 1999 des avantages de la proximité de la juridiction dont la décision était attaquée, puisque le pourvoi était formé au greffe de cette juridiction et selon des formes simplifiées. Désormais, trois modifications sont à noter :
- d’une part, la déclaration de pourvoi doit être faite au greffe de la Cour de cassation ;
- d’autre part, elle est nécessairement écrite, le décret supprimant la possibilité d’une déclaration orale ;
- enfin, si elle a lieu par envoi d’une lettre recommandée, il doit s’agir d’un recommandé renforcé, c’est à dire avec demande d’avis de réception. Sur une conséquence quant au point de départ du délai de trois mois pour déposer le mémoire ampliatif, v. infra, article 989.
d) Articles 986 et 987 : adaptation de la terminologie et rôle accru du greffe de la Cour de cassation
            Le décret ne parle plus de secrétaire mais de greffier (articles 986 et 987). On observera que le décret n° 82-716 du 10 août 1982 avait déjà, dans son article 1er, substitué le mot greffier à celui de secrétaire dans toutes les dispositions réglementaires en vigueur.
            Surtout, du fait que le pourvoi n’est plus déclaré au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée mais au greffe de la Cour de cassation, même dans la procédure sans représentation obligatoire, il appartient à ce dernier de demander au greffe de la juridiction du fond la communication du dossier de l’affaire.
e) Article 988 : décisions et pièces à remettre à l’appui du pourvoi dans la procédure sans représentation obligatoire
            Le décret harmonise cette procédure avec les exigences de la procédure avec représentation obligatoire. Désormais, le demandeur au pourvoi doit produire comme par le passé : la copie de la décision attaquée et de la décision confirmée ou infirmée par la décision attaquée (l’ancien article 988 parlait de « décision de première instance »), les conclusions de première instance et d’appel ; en outre, il doit produire, à compter du 1er mars 1999, la copie des actes de notification et celle de toute autre décision rendue dans le même litige et à laquelle la décision attaquée fait référence (cf. la formule de l’article 979). Comme auparavant, le demandeur au pourvoi doit transmettre immédiatement au greffe de la Cour de cassation, toute pièce qui lui parviendrait ultérieurement.
f) Article 989 : modification du point de départ du délai de dépôt du mémoire complémentaire du demandeur au pourvoi
            On sait que, dans la procédure sans représentation obligatoire, l’actuel article 989 prévoit que le demandeur au pourvoi doit faire parvenir au greffe de la Cour de cassation un mémoire ampliatif, dès lors que sa déclaration de pourvoi ne contient pas l’énoncé, même sommaire, des moyens de cassation invoqués contre la décision attaquée. Cette obligation subsiste, mais le point de départ du délai de trois mois pour effectuer ce dépôt n’est plus le jour « de la déclaration de pourvoi » (ancienne rédaction de l’article 989). Pour tenir compte de la suppression de la déclaration orale et de l’obligation d’accompagner la lettre recommandée, si ce procédé est choisi, d’une demande d’avis de réception (v. supra, article 984), le nouvel article 989 fait courir le délai soit de la remise de la déclaration au greffe (ce procédé restant possible), soit de la réception du récépissé de la déclaration lorsque le procédé de la lettre recommande a été utilisé.
g) Article 1009 : pouvoir du président de fixer la date de l’audience
            On sait que le premier président ou son délégué peut, à la demande d’une des parties ou d’office, réduire les délais prévus pour le dépôt des mémoires et des pièces. Cette possibilité est maintenue mais, dans le souci d’accélérer le traitement de l’affaire, le nouvel article 1009 autorise le président de la formation concernée à fixer directement la date de l’audience, à l’expiration de ces délais. Cela devrait permettre de gagner de trois à six mois en évitant de passer par le circuit du parquet général.
h) Articles 1009-1 à 1009-3 : renforcement du pouvoir du premier président de retirer du rôle une affaire lorsque le demandeur au pourvoi n’a pas exécuté la décision
            Pour l’essentiel, le décret maintient la procédure du 1009-1, mais la renforce. Toujours dans le cas où le pourvoi n’est pas suspensif d’exécution et sous la réserve que le premier président (ou son délégué depuis le 1er mars 1999) ne juge pas qu’il y aurait des conséquences manifestement excessives à procéder ainsi, ce magistrat décide du retrait de rôle si le demandeur au pourvoi n’a pas exécuté la décision qu’il attaque. Certes, il faut toujours une demande du défendeur au pourvoi, mais une fois cette demande présentée et les conditions d’applicabilité du texte vérifiées, le premier président ou son délégué est tenu, lié, par la demande ; il ne peut refuser le retrait de rôle (art. 1009-1, al. 1er).
En contrepartie de l’accroissement de ce pouvoir, et pour respecter le contradictoire, le premier président ou son délégué ne doit pas seulement demander l’avis des parties (rédaction antérieure) ; il doit désormais recueillir leurs observations (art. 1009-1, al. 1er).
Pour accélérer le traitement des affaires, la demande de retrait de rôle doit être présentée avant l’expiration des délais prescrits aux articles 982 et 991 (selon qu’il y a ou non représentation obligatoire), pour le dépôt du mémoire du défendeur (art. 1009-1, al. 2). Dans le même esprit, le retrait de rôle n’emporte pas suspension des délais impartis au demandeur au pourvoi pour déposer son mémoire par les articles 978 et 989, selon qu’il y a ou non représentation obligatoire (art. 1009-1, al. 3). Ainsi, l’affaire sera jugée plus rapidement si la décision attaquée est exécutée et le retrait de rôle rapporté.
Le décret consacre la jurisprudence qui avait instauré un délai de péremption de l’instance en cassation (v. le commentaire de 1009-1) lorsque la décision n’est pas exécutée dans les deux ans de la notification du retrait de rôle (art. 1009-2). Pour assouplir cette sanction, le décret prévoit, dans le même article, que le délai de péremption est interrompu par un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter.
Enfin, dès la justification de l’exécution de la décision attaquée, le premier président ou son délégué autorise la réinscription de l’affaire au rôle de la Cour de cassation, sauf si la péremption est acquise (art. 1009-3, al. 1er). Les délais impartis au défendeur par les articles 982 et 991 (selon qu’il y a ou non représentation obligatoire) pour le dépôt de son mémoire courent à compter de la notification de la réinscription de l’affaire au rôle (art. 1009-3, al. 2).
i) Article 1015-1 : demande d’avis d’une chambre à une autre
            Le décret institutionnalise une pratique interne à la Cour de cassation en permettant à une chambre de solliciter l’avis d’une autre chambre sur un point de droit qui relève de la compétence de cette chambre (art. 1015-1). Les parties doivent en être avisées et peuvent présenter des observations devant la chambre sollicitée (al. 2).
j) Article 1026 : compétence du premier président ou du président de la formation pour se prononcer sur les frais irrépétibles lorsqu’il constate le désistement
            Jusqu’au décret, lorsque le désistement était constaté par le premier président ou le président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée, il ne pouvait pas se prononcer en même temps sur les frais de l’article 700 et devait renvoyer, sur ce point, à la chambre concernée. Désormais, souci d’accélérer le traitement des affaires, même sans jugement au fond, le premier président ou le président de la chambre compétente peut statuer sur les frais irrépétibles.

) dispositions modifiant le code de l’organisation judiciaire (articles 1 à 3 du décret)
a) Article R. 131-3
            La loi du 23 avril 1997 ayant réduit la composition des assemblées plénières de la Cour de cassation en faisant passer la représentation de chaque chambre de deux à un conseiller (en plus du président et du doyen de chaque chambre), le décret en tire les conséquences réglementaires en modifiant l’article R. 131-3 pour viser « le » conseiller désigné par ordonnance du premier président sur proposition du président de chaque chambre, pour siéger en assemblée plénière.
b) Articles R. 131-6 et R. 131-7
            Les textes réglementaires organisant le remplacement des conseillers empêchés de siéger en chambre mixte ou en assemblée plénière (art. R. 131-6) ou en formation normale à cinq (art. R. 131-7) sont adaptés d’un point de vue purement formel pour renvoyer aux textes législatifs correspondants et qui avaient été modifiés par la loi du 23 avril 1997 (respectivement art. L. 131-6-2 et non plus L. 131-6, al. 3, art. L. 131-6-1 et non plus L. 131-6, al. 1er).
           
b) le décret n° 99-1080 du 20 décembre 1999 portant réforme des conditions d’accès à la profession d’avocat au conseil d’état et à la cour de cassation
La fin de l’année 1999 aura été marquée par un décret que l’on pourrait qualifier de réaménagement technique. Les deux nouveautés essentielles (qui sont d’application immédiate aux personnes en cours de formation) concernent :
- d’une part, le décrochage partiel que le décret opère entre la profession d’avocat aux Conseils et la condition de diplôme traditionnellement exigée pour accéder à la profession d’avocat, puisque la possession du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (le C.A.PA) n’est plus exigée pour accéder à la profession d’avocat aux Conseils (article 2 du décret) ; mais la condition d’avoir été inscrit, pendant un an au moins, sur la liste du stage ou au tableau d’un barreau demeure, sous la réserve, maintenue, des dispenses accordées à certains professionnels (magistrats, professeurs d’université, etc..). Cette suppression de l’exigence du C.APA. (et d’elle seule) devrait faciliter l’intégration dans la profession d’avocat aux Conseils d’avocats européens qui peuvent justifier de l’inscription à un barreau pendant au moins un an, mais pas de la possession du C.A.P.A. français, notamment lorsqu’ils sont venus au barreau français par la voie dite de l’article 99 du décret du 27 novembre 1991, c’est à dire par la réussite à l’examen spécial qui est une contraction de l’examen des IEJ et du C.A.PA. ou, demain, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle directive européenne, par l’inscription directe à un barreau français, sans même l’examen de l’article 99.
- D’autre part, le remplacement du stage par une formation en trois ans au lieu de deux auparavant (article 8 du décret) et la suppression de la possibilité de remplacer l’une des années à plein temps par un mi-temps pendant deux ans. Cette formation comprend désormais un aspect théorique aux côtés de la formation en cabinet qui devient obligatoire pendant les deux dernières années de la formation (articles 9 et 10) et de la participation aux travaux de la conférence du stage. L’examen final comporte une admissibilité sur écrit et des épreuves orales d’admission.

ii) les professions judiciaires
        
C’est la rémunération de certains auxiliaires de justice qui retient l’attention et les suites de la réforme engagée des tribunaux de commerce.
            a) les honoraires des huissiers de justice et la reconnaissance d’un droit de recouvrement à la charge du créancier
            La loi n° 99-957 du 22 novembre 1999 modifie l’article 32 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 sur les procédures civiles d’exécution pour permettre désormais que les huissiers de justice perçoivent un droit proportionnel de recouvrement ou d’encaissement à la charge des créanciers ; un décret d’application est attendu. On se souvient en effet, que le Conseil d’Etat avait annulé (par un arrêt du 5 mai 1999) les articles 10 à 12 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice, au motif que la perception d’un tel droit proportionnel ne pouvait être prévue par voie simplement réglementaire, sans que le législateur l’ait prévue ; l’article 6 de la loi du 22 novembre 1999 valide les droits perçus jusqu’au 5 mai 1999 (date de l’arrêt du Conseil d’Etat). Le législateur consacre clairement le principe d’un honoraire en matière de recouvrement et d’encaissement.
b) l’honoraire de résultat des avocats
            Selon un avis de la Cour de cassation, l’avocat qui n’a pas demandé d’honoraires de résultat préalablement à sa prestation, dans une convention avec son client, ne peut ultérieurement en demander, même si ce client se voit retirer le bénéfice de l’aide juridictionnelle qui lui avait été accordée (Cass. Avis, 27 sept. 1999 : D. 1999, IR, 239).
            c) greffiers et greffiers des tribunaux de commerce
a) Un arrêté du 7 décembre 1999 crée l’Ecole nationale des greffes comme service central délocalisé de la Direction des services judiciaires du ministère de la Justice. Dirigée par un magistrat, assisté d’un conseil pédagogique, elle sera chargée de la formation initiale et de la formation continue des agents des services judiciaires. En outre, elle aura une fonction de soutien pédagogique et d’expertise auprès des cours d’appel.
b) Deux décrets du 6 décembre 1999 (n° 99-1017 et 1018) tirent les conséquences de la modification du ressort des tribunaux de commerce avec la disparition de certaines de ces juridictions, pour indemniser les greffiers dont les charges sont supprimées et pour faciliter leur accès à certaines professions judiciaires et juridiques (administrateur judiciaire, avocat, avoué, commissaire-priseur, huissier de justice, mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises, notaire), en en assouplissant les conditions d’accès (diplôme, examen d’aptitude, dispense de stage, qui ne peut être réduit à moins d’un an). L’occasion a été, aussi, de revoir les conditions d’accès à la profession de greffier des tribunaux de commerce, quant à l’inscription sur un registre du stage et le contrôle exercé à cet égard par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, quant au refus de délivrance du certificat de fin de stage et le recours ouvert devant la Cour d’appel de Paris dans les deux mois du refus.

iii) la procédure civile
            a) accès à la justice et composition des juridictions
            a) Par un arrêt de section du 12 octobre 1999, Perks et alii c/ Royaume Uni, la Cour européenne des droits de l’homme retient la violation du droit à un procès équitable dans l’hypothèse où les parties n’avaient pas les moyens de recourir aux services d’un avocat et s’étaient vu refuser l’assistance judiciaire gratuite.
            b) Par un arrêt de sa grande chambre du 28 octobre 1999, Zielinski, Pradal et Gonzales et alii c/ France, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour intervention du législateur dans une procédure judiciaire en cours, au moyen d’une loi de validation, quand bien même celle-ci aurait été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel français.
c) En matière d’impartialité du juge, on retiendra la précision apportée par la Cour de cassation quant à l’application du droit européen de la Convention européenne des droits de l’homme : la partie qui a été en mesure de récuser un magistrat en cause dans une affaire et qui ne l’a pas fait en temps utile, ne peut plus valablement invoquer la violation du principe d’impartialité pour la première fois devant la Cour de cassation (Civ. 2ème, 6 mai 1999, deux arrêts : D. 1999, IR, 152 ; RTDCiv. 1999, 685, obs. J. Normand).
            b) compétence et pouvoirs du juge des référés
            a) La compétence respective du JEX et du juge des référés a été clarifiée à un double point de vue et au profit du juge des référés dans les deux cas :
- par un arrêt du 21 janvier 1999, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation autorise le juge des référés à procéder incidemment à une vérification d’écritures sous seing privé dès lors que la contestation n’est pas sérieuse (D. 1999, som. com. 214, obs. P. Julien).
- Par un autre arrêt de la deuxième chambre civile du 18 février 1999 (D. 1999, IR, 73 ; RTDCiv. 1999, 690, obs. Normand), la Cour de cassation accroît le domaine de compétence du juge des référés en reconnaissant à ce dernier le pouvoir d’ordonner une astreinte aux fins d’exécution d’une de ses précédentes ordonnances ; JEX perd, par cette décision du début de l’année 1999, la compétence exclusive que la jurisprudence antérieure lui reconnaissait, dans le respect de l’esprit de la réforme des années 1991-1992, le législateur ayant voulu créer des blocs de compétence exclusive.
            b) Les pouvoirs du juge des référés se trouvent confortés dans l’affaire qui avait défrayé la chronique juridico-mondaine à propos du livre d’un ancien médecin d’un Président de la République aujourd’hui décédé. En rejetant le pourvoi le 14 décembre 1999, la première chambre civile confirme que le juge des référés pouvait valablement ordonner la cessation de la diffusion d’un ouvrage pour atteinte à la vie privée et violation du secret médical, dès lors que c’était le seul moyen de mettre fin à une infraction pénale établie par un jugement pénal.
            c) demandes reconventionnelles, défenses au fond et conclusions récapitulatives
            a) Un important arrêt de la chambre commerciale du 26 octobre 1999 (D. 1999, IR 262) revient sur une jurisprudence très critiquée (v. Serge Guinchard, Le Droit a-t-il encore u avenir à la Cour de cassation ? Mélanges Fr. Terré, Dalloz/PUF :Ed. Techniques, 1999) qui interdisait à la caution, poursuivie en paiement par le créancier, de demander, par voie de défense au fond, à être déchargée de son obligation en raison de la faute commise par ce créancier à l’encontre du débiteur principal, alors que la caution ne demandait aucun autre avantage que le simple rejet de la prétention de son adversaire ; la chambre commerciale admet désormais la recevabilité de cette voie procédurale, parallèlement à celle de la demande reconventionnelle.
            b) Sur les conclusions récapitulatives, la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur le régime issu du décret du 28 décembre 1998, mais deux arrêts de la troisième chambre civile, en date du 6 octobre 1999, apportent un éclairage utile sur le droit antérieur, avec une interprétation intelligente des textes. V. la mise à jour jointe à cette synthèse, V° Appel.
            d) en droit d’alsace-moselle
Un arrêt d’Assemblée plénière précise qu’en Alsace-Moselle, la tierce-opposition étant formée par remise au greffe du tribunal d’un acte introductif d’instance, l’appréciation de la recevabilité de ce recours doit tenir compte de la date de la remise de l’acte au greffe et non pas de la date de la signification ultérieure de l’acte au défendeur (Cass. Ass. plénière, 2 nov. 1999 : D. 1999, IR, 274).

iv) procédures civiles d’exécution et surendettement
            a) pour le droit des procédures d’exécution
On renvoie aux rubriques Saisie et autres de la mise à jour qui est jointe à cette synthèse, en signalant simplement :
a) Deux avis de la Cour de cassation :
- l’un du 8 février 1999 par lequel la Cour considère que la licence d’exploitation d’un débit de boissons de 4ème catégorie constitue un droit incorporel saisissable auquel on peut appliquer les règles de la saisie-vente ;
- l’autre du 21 juin 1999, par lequel la Cour admet que le tiers saisi peut se prévaloir des causes d’inefficacité de la saisie conservatoire, la nullité de celle-ci ou sa caducité la privant rétroactivement de tous ses effets et empêchant le créancier saisissant de faire condamner le tiers saisi, sur le fondement de l’article 258 du décret du 31 juillet 1992, au paiement des sommes pour lesquelles la saisie a été pratiquée.
            b) La loi n° 99-957 du 22 novembre 1999 qualifie de titre exécutoire les transactions soumises au président du TGI selon la procédure prévue à l’article 1441-4, NCPC, lequel avait été introduit par le décret du 28 décembre 1998.
            b) pour le surendettement
Les mesures d’application et d’accompagnement de la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions (v. notre synthèse 1998) sont prises par le décret n° 99-65 du 1er février 1999 et la circulaire du 24 mars 1999, dont l’analyse est faite dans la mise à jour, V° Surendettement des particuliers.

III - Synthèse pour 2000
La Cour européenne a encore frappé !



            La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’en finit pas de perturber le bel ordonnancement du code de procédure civile, dont les règles techniques, à défaut des principes directeurs qui conservent, eux, toute leur pertinence, sont malmenées par l’examen de leur conformité aux principales garanties qui composent aujourd’hui le droit à un procès équitable. La Cour européenne des droits de l’homme n’hésite pas à aller très loin dans son contrôle de conformité des principales dispositions du nouveau code aux garanties édictées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le droit communautaire n’est pas en reste et commence à irriguer de ses contraintes, telles que la Cour de justice des Communautés européennes les dégage et les proclame, le droit procédural français, y compris le droit de la procédure civile (sur l’ensemble de la question pour tous les contentieux, v. Serge Guinchard, Monique Bandrac, Xavier Lagarde et Mélina Douchy, Droit processuel/Droit commun du procès, Dalloz, février 2001).

            Par ailleurs, signe de l’importance accrue de la procédure civile, la Cour de cassation a rendu cinq avis (dont trois sont analysé ici, les autres pouvant être trouvés aux rubriques Huissiers de justice et Incapables majeurs de la synthèse) et deux arrêts en assemblée plénière dans le droit du procès civil.

I – le nouveau code de procédure civile à l’aune des garanties d’un procès équitable

             Si l’on excepte les arrêts de condamnation relatifs au non-respect d’un délai raisonnable de la procédure (et dont l’Italie, plus que la France, fait les frais), la jurisprudence  de la Cour européenne des droits de l’homme s’oriente, en l’an 2000, autour de trois axes : le droit à un juge, spécialement de cassation (A) et l’impartialité du juge qui devient aussi l’une des préoccupations premières de la Cour de cassation française (B). Il faut y ajouter le respect du droit de se défendre et de l’égalité des armes (C). On dira un mot de la nouvelle Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (D).



A)    le droit à un juge



Les principaux arrêts de l’année 2000 dans le domaine du droit à un juge, qu’ils émanent de la Cour européenne ou de la Cour de cassation, analysent longuement la notion de recours de nature juridictionnelle et l’absence d’obstacles juridiques ou financiers pour vérifier que l’accès à un tribunal est respecté.



a)      Les arrêts les plus significatifs de la Cour européenne sont au nombre de trois :



1) Dans un arrêt Dulaurans c/ France, du 21 mars 2000, la Cour européenne condamne la France pour « erreur manifeste d’appréciation » qu’aurait commise la Cour de cassation dans l’appréciation du caractère nouveau d’un moyen présenté pour la première fois devant la Cour de cassation, ce qui avait entraîné l’irrecevabilité du pourvoi sur le fondement de l’article 619, NCPC. La Cour européenne contrôle donc désormais l’appréciation, par la Cour de cassation, de la nouveauté des moyens. Solution sévère en l’espèce, en des termes peu respectueux pour notre haute juridiction et qui fait suite aux arrêts Fouquet (erreur dans l’appréciation des éléments du dossier) et Higgins (défaut de motivation)que nous avions commenté en leur temps dans les synthèses annuelles précédentes (cf. aussi notre contribution aux Mélanges Terré, Dalloz/Ed. techniques/PUF, 1999, Le droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation?  Qui cassera les arrêts de la Cour de cassation ?). Solution confirmée par la Cour européenne le 29 août 2000, même si, en l’espèce, elle ne retient pas l’erreur manifeste d’appréciation.



2) Dans un arrêt Gnahoré c/France, du 19 septembre 2000, la Cour européenne ne condamne pas la France, dans le domaine des restrictions à l’accès à la Cour de cassation, alors que l’arrêt Aerts c/Belgique, pouvait laisser entendre le contraire. Le requérant s’étant vu refuser l’aide juridictionnelle au motif qu’il ne justifiait pas d’un moyen sérieux de cassation, la Cour européenne relève que, s’agissant d’une procédure sans représentation obligatoire, l’absence d’aide à l’assistance d’un auxiliaire de justice ne privait pas le requérant de son droit d’accès à la Cour de cassation.



3) Enfin, dans un arrêt Annoni di Gussola et Debordes et Omer c/ France, du 14 novembre 2000, la Cour européenne condamne la France pour (mauvaise) application de l’article 1009-1, NCPC, par la Cour de cassation. Ce texte qui permet de déclarer irrecevable le pourvoi en cassation de celui qui n’a pas exécuté l’arrêt attaqué, n’est pas contesté dans son principe même par la Cour européenne qui considère comme légitime les buts poursuivis par cette obligation d’exécutiojn d’une décision » ; mais le texte prévoit aussi que la sanction peut être écartée si elle entraîne des conséquences « manifestement excessives » pour le requérant ; or, en l’espèce, celui-ci était bénéficiaire de l’aide juridictionnelle et du RMI, alors qu’il aurait dû payer une somme de 80 000F pour exécuter l’arrêt d’appel. La Cour européenne pose une présomption de conséquences manifestement excessives dans une telle hypothèse, la radiation étant disproportionnée par rapport aux buts visés et à l’accès effectif au juge de cassation ; c’est donc le principe de proportionnalité qui fonde la condamnation.



b)      La Cour de cassation elle-même est soumise à la pression des plaideurs sur le fondement de la garantie d’un procès équitable, quant au droit à un juge



Ainsi, dans un avis du 25 septembre 2000, la Cour de cassation a considéré que « les dispositions de l’article 13 de l’ordonnance du 10 septembre 1817, telles qu’elles sont interprétées par les juridictions qui y sont mentionnées [Cour de cassation et Conseil d’Etat], leur confèrent un pouvoir de pleine juridiction pour statuer sur l’action en responsabilité d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. L’absence de recours contre leurs décisions n’est pas contraire aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme, le double degré de juridiction en matière civile ne figurant pas au nombre des droits garantis par cette convention » (D. 2000, IR, 261 ; Bull. inf. cass. 1er déc. 2000, p. 3, obs. Roehrich).



b) le droit à un juge impartial



            La question de l’impartialité du juge devient la question centrale des garanties du procès équitable. Elle concerne progressivement toutes les procédures. Petit à petit, la jurisprudence, tant européenne que nationale, affine ses solutions.



a) La participation du juge-commissaire au délibéré de la formation de jugement du tribunal de commerce

            Dans un arrêt Morel c/France, du 6 juin 2000 (Bull. inf. Cass., 15 juill. 2000, p. 35 ; Journal des droits de l’homme, supplément au n° 53 du 21 juill. 2000 des Annonces de la Seine, p. 4), la Cour européenne s’est prononcée sur la participation du juge-commissaire au délibéré de la formation de jugement du tribunal de commerce. Cette hypothèse est particulièrement intéressante parce qu’une certaine jurisprudence française semble condamner la présence de ce juge au sein de la formation de jugement, alors que la Cour de cassation et la Cour européenne sont beaucoup plus nuancées, cette dernière ne retenant pas la partialité de ce juge et du tribunal auquel il participait.

1) En l’espèce, les craintes quant au défaut d’impartialité du tribunal de commerce tenaient au fait que le juge-commissaire avait pris, au cours de la phase d’observation, diverses mesures concernant les sociétés en cause et pour lesquelles l’administrateur judiciaire (et non pas le juge-commissaire) avait demandé au tribunal, sur le fondement de l’article 61 de la loi du 25 janvier 1985, qu’il statue sur le plan de redressement proposé par le requérant ; le tribunal, demanda au requérant de présenter des observations complémentaires sur ce plan et, finalement, préféra prononcer la liquidation des sociétés, estimant non viable le plan présenté.



2) La Cour européenne retient d’abord que « pareille situation pouvait susciter des doutes chez le requérant quant à l’impartialité du tribunal de commerce », doutes dont il lui appartient de vérifier le bien-fondé, s’ils « se révèlent objectivement justifiés » (§ 44). Dans un motif de grande portée, elle énonce, en trois propositions (§ 45), que :

·      « Le simple fait, pour un juge, d’avoir déjà pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte est l’étendue des mesures adoptées par le juge avant le procès » ;

·      « De même, la connaissance approfondie du dossier par le juge n’implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond » ;

·      Enfin, l’appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant l’appréciation finale. Il importe que cette appréciation intervienne avec le jugement et s’appuie sur des éléments produits et débattus à l’audience ». Et la Cour de faire référence « mutadis, mutandis » aux arrêts rendus en matière pénale, ce qui est lourd de sens (Hauschildt, 24 mai 1989, à propos d’un juge du fond qui avait déjà pris des mesures de détention provisoire ; Nortier, 24 août 1993, à propos du juge pour enfants ; Saraiva de Carvalho, 22 avril 1994, pour un juge d’instruction qui devient juge du fond ; arrêts cités supra, n° 368)



3) La Cour va ensuite opérer une distinction entre deux types de questions traitées ou non par le juge-commissaire, pendant la phase d’observation :

- celles que le juge-commissaire n’a pas traitées, mais qui auraient entraîné sa conviction d’une partialité du tribunal, si cela avait été le cas : « les questions analogues à celles sur lesquelles il statua au sein du tribunal » (§ 47) ;

- les questions effectivement traitées par le juge-commissaire : questions relatives à la gestion de la survie économique et financière des sociétés ; gestion du personnel des sociétés, puisque, selon le droit interne, son rôle était, précisément, de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence (§ 48).

            Or, le tribunal était chargé, lui, d’apprécier la validité, à plus ou moins long terme, du plan de continuation proposé par le requérant à la fin de la phase d’observation (et non pas par le juge-commissaire) et en s’appuyant sur les éléments fournis par l’administrateur : garanties financières et autres éléments produits à l’audience ; état des sociétés à cette date (personnel, actif immobilier, secteur d’activité en difficulté).

            En conséquence, « le juge-commissaire fut confronté à deux questions bien distinctes », celles soulevées et résolues par lui pendant la phase d’observation ; celles traitées par le tribunal (donc aussi par lui) et qui concernaient la validité du plan de continuation de l’activité des sociétés. Et entre les deux séries de questions, la Cour ne relève aucune interférence pour le juge-commissaire, si ce n’est sa « connaissance privilégiée de l’état des sociétés », qui constituait certes « l’un des éléments pris en compte par le tribunal pour trancher » la question de la validité du plan, mais qui ne permet pas de retenir qu’il aurait « déjà adopté un point de vue sur le plan de continuation », puisque celui-ci fut « proposé par le requérant à l’audience devant le tribunal » et que ce dernier en « apprécia la validité au regard des garanties fournies et examinées à l’audience » (§ 48, al. 4). La chronologie de la présentation du plan joue ici un rôle capital : s’il avait été présenté au juge-commissaire pendant la phase d’observation et s’il avait eu à traiter de cette question, sa partialité était acquise.

            Il n’y avait donc « aucun motif objectif de croire que la nature et l’étendue des tâches du juge-commissaire durant la phase d’observation - destinée à assurer la gestion courante des sociétés - impliquaient un préjugé sur la question - distincte - à trancher au sein du tribunal concernant l’appréciation de la viabilité du plan de continuation proposé par le requérant à la fin de la période d’observation et des garanties financières produites à l’audience » (§ 49). Et la Cour de conclure « qu’au vu des circonstances particulières de la présente affaire », « les appréhensions du requérant ne se trouvent pas, en l’espèce, objectivement justifiées » (§ 50).

            En d’autres termes, la spécialisation d’un juge au sein de la juridiction n’est pas en elle-même une cause de partialité.


b) L’impartialité dans les procédures disciplinaires

1) La séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement dans les procédures disciplinaires.

-          Par un arrêt du 5 octobre 1999, la première chambre civile a jugé que l’avocat désigné comme rapporteur pour procéder à une enquête sur le comportement de l’avocat mis en causse ne pouvait pas participer au délibéré du Conseil sur ces poursuites.

-          Dans le prolongement de cet arrêt, la même chambre a considéré, le 23 mai 2000, que le bâtonnier ne peut présider la formation disciplinaire, ni participer au délibéré, dès lors qu’il décide du renvoi de l’avocat mis en cause devant la formation de jugement du Conseil de l’ordre.



2) Le pouvoir d’évocation de la cour d’appel. Il peut arriver qu’une cour d’appel, saisie sur recours contre une décision d’un Conseil de l’ordre rendue en matière disciplinaire, ne puisse renvoyer l’affaire devant le même Conseil autrement composé, lorsqu’une question d’impartialité se pose ; elle ne peut pas non plus, dans ce cas, renvoyer devant un autre Conseil de l’ordre puisque ceux-ci ne sont compétents que par rapport aux avocats inscrits à leur barreau ; dans ce cas, la Cour de cassation a jugé le 7 novembre 2000, que la cour d’appel doit évoquer l’affaire et juger au fond.



c) La coordination de la procédure de récusation avec l’annulation du jugement pour partialité fondée sur une violation de l’article 6, §1er, de la CEDH

            Pendant longtemps, la Cour de cassation a considéré que si la récusation d’un juge devait être demandée dès que la partie avait connaissance du vice allégué, au plus tard avant la clôture des débats, conformément aux règles du nouveau code de procédure civile, la question de l’impartialité pouvait être soulevée postérieurement au procès et même pour la première fois devant la Cour de cassation. Mais, le 6 mai 1999, la deuxième chambre civile a jugé que le moyen tiré de l’impartialité du juge devait être soulevé dès que la composition de la juridiction était connue ou, ce qui est excessif, pouvait être connue. En 2000, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé, par un arrêt du 24 novembre (D. 2001, IR, 42), que celui qui ne fait pas usage de la possibilité de récuser un magistrat pour partialité par application de l’article 341-5°, alors qu’il était en état de le faire (la précision est importante), n’est plus recevable à invoquer devant la Cour de cassation une violation de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

            Cette jurisprudence est en opposition avec celle de la Cour européenne qui ne tient pas compte de ces moyens d’irrecevabilité des demandes et juge que le comportement d’un juge peut être jugé partial, malgré la tardiveté de la demande de récusation (CEDH, 16 sept. 1999, Buscemi c/Italie).



c) les droits de la défense



a) Le droit de se défendre par avocat sans être présent

            Dans un arrêt Krombach c/ Banberski, du 28 mars 2000, la Cour de justice des Communautés européennes condamne la procédure de contumace française ; certes, il s’agit d’un procédure pénale qui est ainsi condamnée, mais c’est par le biais de la Convention de Bruxelles et d’une procédure (civile) d’exequatur. En l’espèce, un ressortissant allemand soupçonné d’assassinat avait été renvoyé aux assises et condamné, par contumace, à 15 ans de réclusion criminelle et à 350 000F de dommages-intérêts au profit du père de la victime ; ayant demandé à pouvoir se défendre par l’intermédiaire de ses avocats, sans être lui-même personnellement présent, ce que ne permet pas la procédure par contumace française, la Cour d’assises avait écarté cette demande conformément au droit français. Sur la demande d’exequatur de la décision civile, le juge allemand interrogea la Cour de justice de Luxembourg pour savoir si le procès, tel qu’il s’était déroulé en France, n’était pas contraire à l’ordre public visé à l’article 27, point 1, de la Convention de Bruxelles. La Cour de justice a considéré que l’interdiction de se défendre sans comparaître personnellement était contraire au droit à un principe équitable. Le droit communautaire fait ainsi une intrusion remarquée dans le domaine du procès équitable.



b) Le respect du contradictoire devant la Cour de cassation

            La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de préciser, dans un arrêt Voisine c/France, du 8 mars 2000, que dans les procédures sans représentation obligatoire devant la Cour de cassation et lorsque le requérant a fait le choix de se défendre lui-même, il faut lui offrir les mêmes garanties du procès équitable que lorsqu’il y a assistance d’un auxiliaire de justice. L’affaire concernait la communication des conclusions de l’avocat général aux parties, dont on sait, depuis un arrêt Slimane Kaïd c/France, du 31 mars 1998, qu’elle doit être faite préalablement au délibéré, en permettant aux parties de répondre à ces conclusions, au plus tard oralement à l’audience ou par des notes en délibéré.



d) la charte des droits fondamentaux de l’union européenne



            Adoptée au Conseil européen de Nice, le 7 décembre 2000, cette charte ne concerne que le champ d’application du droit communautaire ; mais on sait que celui-ci n’est pas étranger aux règles nationales de procédure civile, à travers, par exemple, le principe de non-discrimination ou encore, comme on vient de le voir, par le biais de l’application de la Convention de Bruxelles. Pour l’essentiel, cette charte contient un chapitre VI sur le « Justice », dont l’article 47 détermine le « droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial » et reprend, en substance, les dispositions de l’article 6, § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme.



II - LES RÈGLES DE COMPÉTENCE ET DE PROCÉDURE



            Nous nous en tiendrons aux principaux faits marquants de l’an 2000 (revirement de jurisprudence ou arrêts d’assemblée plénière ou avis de la Cour de cassation), renvoyant le lecteur, pour le détail, aux dispositions de la synthèse annuelle, classées par ordre alphabétique.



a) l’abrogation « par erreur » des articles 631 et 639 du code de commerce



a) L’année 2000 aura été marquée par un événement singulier, à savoir la prise de conscience, à l’occasion de la recodification du code de commerce, que l’article 631 du code de commerce qui fonde la compétence des tribunaux de commerce avait été abrogé par inadvertance en 1991. Pour comprendre cette incroyable (mais vraie) erreur, il faut remonter au décret n° 78-329 du 16 mars 1978 qui instituait la partie législative du code de l’organisation judiciaire ; l’article 1er de ce texte disposait, dans son alinéa 2, que les dispositions nouvelles se substituaient aux dispositions législatives qu’il énumérait ; parmi celles-ci figurait l’article 631 du code de commerce, alors même que l’article L. 411-2 du code de l’organisation judiciaire en reprenait littéralement le contenu ; jusque là rien de grave, puisque l’article 631 restait en vigueur, faisant doublon avec l’article L. 411-2, COJ, précité. Mais, la loi n° 87-550 du 16 juillet 1987 réorganisait le code de l’organisation judiciaire quant aux tribunaux de commerce, en se contentant de renvoyer, pour la compétence matérielle des tribunaux de commerce au Code de commerce et aux lois particulières (art. L. 411-1) ; le doublon, le frère cloné de l’article 631 disparaissait donc en 1987 ; ce n’était toujours pas très grave, car 631 subsistait et vivait sa vie de presque bicentenaire ! Mais voilà que, par une disposition anodine et in fine du décret n° 91-1258 du 17 décembre 1991, dont l’objet principal était de conférer aux chefs de cour le pouvoir de déléguer certains de leurs pouvoirs, étaient abrogées les dispositions législatives énumérées aux articles 1er et 2 du décret du 16 mars 1978, donc l’article 631 du code commerce, sans que celui-ci ait été repris en substance dans le code de l’organisation judiciaire. Et voilà pourquoi, en attendant une disposition législative rétablissant cette disposition, la compétence des tribunaux de commerce n’a plus de fondement juridique.

           

b) Cette abrogation par erreur s’étend à la clause compromissoire, car c’est le dernier alinéa de l’article 631 qui, depuis la loi du 31 décembre 1925, autorisait la clause compromissoire dans les matières entrant dans la compétence du juge commercial. Or, en l’absence de disposition expresse de la loi, la clause compromissoire est nulle (art. 2061, C. civ.). Et voilà pourquoi la France ne peut plus connaître de procédure d’arbitrage en matière commerciale.

           

c) Cette abrogation par inadvertance s’étend enfin au taux du dernier ressort, car l’article 639 du code de commerce qui fonde ce taux pour le tribunal de commerce fait aussi partie des malheureuses victimes du décret du 17 décembre 1991. Il faut en déduire qu’aujourd’hui l’appel des jugements commerciaux est toujours possible, même en-deçà de 13 000F de valeur du litige, l’article 543, NCPC retrouvant toute sa force : « la voie de l’appel est ouverte en toutes matières, mêmes gracieuses, contre les jugements de première instance s’il n’en est autrement disposé ».



b) confirmation de la jurisprudence sur la dictinction de la défense au fond et de la demande reconventionnelle en matière de cautionnement



            La chambre commerciale le 26 avril 2000 et la première chambre civile le 4 octobre 2000, confirment le revirement de jurisprudence opéré le 26 octobre 1999 par la chambre commerciale et que nous avions déjà signalé dans la synthèse annuelle de 1999. Suite aux critiques que nous nous étions permis d’émettre contre l’ancienne jurisprudence (in Mélanges Terré, précités, Le droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation ?), alors que la doctrine commercialiste l’approuvait, la Cour de cassation considère désormais que si la caution, poursuivie en paiement par le créancier demande à être déchargée indirectement en sollicitant des dommages-intérêts puis la compensation des ceux-ci avec sa dette, elle doit le faire par la voie d’une demande reconventionnelle. En revanche, si elle demande à être déchargée de son obligation en raison de la faute commise par le créancier à l’encontre du débiteur principal, sans prétendre obtenir un avantage autre que les simple rejet, total ou partiel, de la prétention de son adversaire, elle doit procéder par voie de défense au fond.



c) la vérification d’écriture à titre incident par le juge des référés



            Par un important revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a jugé le 27 juin 2000, que le juge des référés pouvait procéder incidemment à une vérification d’écriture, dès lors que cette contestation n’est pas sérieuse.



d) les conclusions récapitulatives



            Dans un avis du 10 juillet 2000, la Cour de cassation a estimé que les conclusions ne sont récapitulatives que si elles exposent l’ensemble des prétentions de la partie et la totalité des moyens qui les fondent, sans que les juges d’appel aient à se reporter à des écritures antérieures sauf pour vérifier, s’il y a lieu, les effets de droit que le dépôt des écritures a pu entraîner, au regard notamment de l’interruption de la prescription ou de la péremption d’instance. en conséquence, toute formule de renvoi ou de référence à des écritures précédentes ne satisfait pas aux exigences du texte est dépourvue de portée.

            Dans le même avis, mais par un obiter dictum, la Cour de cassation limite l’exigence de la récapitulation des conclusions aux écritures qui, avant la clôture de l’instruction, déterminent l’objet du litige ou soulèvent un incident de nature à mettre fin à l’instance.



e) les pouvoirs du juge de la mise en etat au regard de la convention européenne des droits de l’homme



            Dans un important arrêt Gozalvo c/ France du 9 novembre 1999, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le caractère raisonnable d’une procédure dépendait, entre autres facteurs, du comportement du juge de la mise en état qui a ou non utilisé les pouvoirs que lui donne le nouveau code de procédure civile dans la conduite de la procédure, notamment en donnant aux parties injonction de conclure.



f) les indications de la déclaration d’appel dans les procédures sans représentation obligatoire



            Par un arrêt d’assemblée plénière du 7 juillet 2000, la Cour de cassation précise que, dans ce type de procédure, l’indication dans la déclaration d’appel de l’organe représentant légalement la personne morale n’est pas exigée.



III- LES PROFESSIONS JURIDIQUES ET JUDICIAIRES



a) les avocats au conseil d’etat et à la cour de cassation



            L’obligation de constituer avocat aux Conseils n’est pas contraire au droit à un procès équitable (Civ. 1ère, 10mai 2000, v. infra, la synthèse par ordre alphabétique.

            Un arrêté du 2 août 2000 fixe le programme et les modalités de l’examen d’aptitude à cette profession.

            Voyer supra, V° Le droit à un juge (I, A, b), sur le régime spécifique de responsabilité des ces auxiliaires de justice (avis de la Cour de cassation du 25 septembre 2000).

            Sur le désaveu des officiers ministériels devant la Cour de cassation et le maintien de la procédure spécifique du règlement du 28 juin 1738 par le décret  n° 79-941 du 7 novembre 1979, v. Pierre Julien, in Mélanges Adrienne Honorat, éditions Frison-Roche, 2000, p. 277.



b) les avocats



            Dans un important arrêt du 6 juin 2000, la première chambre civile marque un net progrès vers une position plus favorable à l’honoraire de résultat, en acceptant que les modalités de fixation de cet honoraire soient déterminées postérieurement à la convention en prévoyant le principe.



c) les commissaires-priseurs



            La loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 supprime le monopole des commissaires-priseurs en matière de ventes volontaires de meubles. On en trouvera une analyse complète dans la synthèse alphabétique, à la rubrique Commissaire-priseur.



IV - L'AIDE JURIDIQUE



            Deux décrets, dont on trouvera une analyse approfondie dans la synthèse par ordre alphabétique , sont venu préciser la rétribution des consultations juridiques en matière d’accès au droit (décret n° 200-4 du 4 janvier 2000) et la composition et le fonctionnement du Conseil national de l’aide juridique et des conseils départementaux de l’accès au droit (décret n° 200-344 du 19 avril 2000).

Surtout, par un important Protocole du 15 décembre 2000, suite à une grève nationale des avocats, le ministère de la justice revalorise au 15 janvier 2001, le barême des procédures concernant les libertés et droits fondamentaux des plus démunis, par exemple, pour la matière civile, le contentieux général et les procédures de référé en droit du logement, les procédures devant le juge de l’exécution ; d’autre part, ce Protocole revalorise les contentieux sociaux et familiaux, mais en deux étapes, au 15 janvier 2001 et au 1er janvier 2002 : contentieux général et référé des Conseils de prud’homme, procédures de divorce. Il faudra sans doute être plus imaginatif si l’on veut éviter la faillite du système, qui est passé d’un budget de 550 millions de francs en 1991 à un milliard et 300 millions de francs en 1999, alors même que l’aide totale n’est accordée qu’en deçà du SMIC.



V - LES PROCÉDURES D'EXPULSION ET D'EXÉCUTION



a) l’expulsion



            Dans un avis du 20 octobre 2000, la Cour de cassation estime qu’une transaction rendue exécutoire par le président du TGI (procédure de l’article 1441-4, NCPC, ne constitue pas un titre permettant l’expulsion d’un local commercial au sens de l’article 61 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991. Le fait d’avoir force exécutoire (article 1441-4, NCPC) ne suffit pas à transformer cette transaction en l’un des deux titres limitativement énumérés à l’article 61 précité (décision de justice ou procès-verbal de conciliation exécutoire).



b) la saisie-attribution



            Toute une série d’arrêts de la deuxième chambre civile du 5 juillet 2000 apporte des précisions fort utiles en matière de saisies-attribution. On en trouvera le détail dans l’analyse alphabétique de la synthèse. Pour l’essentiel, signalons que le tiers (saisi) qui n’est tenu à aucune obligation envers le débiteur n’encourt pas le risque de payer les causes de la saisie s’il ne satisfait pas à l’obligation légale de renseignements ; il n’encourt qu’une condamnation à des dommages-intérêts prévus à l’article 24 de la loi du 9 juillet 1991.


IV - Synthèse pour 2001
L’année des adaptations

            L’année 2001 n’aura pas été, au titre de la procédure civile et de la justice civile, l’année de tous les dangers, mais celle qui, tout au contraire, aura permis au législateur et, dans une moindre mesure, au juge, de les prévenir. Dans un environnement qui s’européanise à une cadence accélérée et dans un monde qui, par ailleurs, doit tenir compte de l’évolution des techniques modernes de communication et de transmission de données, et de celle des esprits quant à la conception qu’on peut avoir de la justice, nul ne s’étonnera que les grandes tendances législatives et jurisprudentielles de l’an 2001 s’organisent autour de cette modification de notre environnement (I) et de l’évolution de notre justice (II).

I) L’ADAPTATION DE LA PROCEDURE CIVILE AUX MODIFICATIONS DE SON ENVIRONNEMENT
            a) l’environnement technologique
A ce titre on attire l’attention du lecteur sur le décret n° 2001-272 du 30 mars 2001 qui a été pris pour l’application de l’article 1316-4 du Code civil en matière de signature électronique. Pour l’essentiel il s’est agi de définir les éléments techniques et les conditions techniques permettant à une signature électronique d’être reconnue, suite à la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000. La lecture du décret du 30 mars 2001 est très révélatrice de la tendance du « législateur » contemporain à être pédagogique, à définir les mots utilisés, ainsi de la notion même de signature électronique, qu’elle soit « sécurisée » ou non (cf. article 1er). Pour le détail, voy. la synthèse, V° Preuve.
            b) l’environnement européen
            L’européanisation de notre procédure, que nous avions annoncée dès le début des années quatre-vingt-dix, en lui consacrant de substantiels développements dans notre Précis  de Procédure civile, s’intensifie, tant au niveau du droit communautaire qu’à celui du Conseil de l’Europe.

a)      Pour ce qui est de l’Union européenne, trois phénomènes méritent de retenir l’attention du lecteur au titre des événements marquants de l’année 2001 :
1) En premier lieu, pour préparer l’arrivée de la monnaie européenne, des textes ont été promulgués tout au long de cette année 2001 pour adapter le taux officiel de conversion du franc en euro aux exigences de simplicité que requiert le fonctionnement de la justice. Le lecteur en trouvera une trace dispersée dans plusieurs rubriques de la synthèse (par exemple, Aide juridictionnelle, Avocats, Compétence des juridictions, Preuve).
L'attention du lecteur est attirée sur le fait que le système d’adaptation adopté par les pouvoirs publics (avec des arrondis au nombre entier immédiatement supérieur ou immédiatement inférieur) ne conduit pas aux mêmes montants en euros pour une même somme en francs, selon la nature de la somme ; par exemple, 25 000 F pour une amende ou une sanction pécuniaire correspondent à 3 750 euros, alors que la même somme « vaut » 3 800 euros pour un taux du ressort. En conséquence, le système s'articule autour de la distinction suivante :
- Pour les amendes et sanctions pécuniaires : en principe, les montants en euros ont été fixés par le tableau I annexé à l'ordonnance no 2000-916 du 19 septembre 2000, que ce soit pour celles qui figurent dans les textes législatifs (article 1er de l'ordonnance) ou pour celles qui sont prévues par des textes réglementaires (article 1er du décret no 2001-373 du 27 avril 2001). Toutefois, lorsque l’adaptation en euros ne figure pas dans ce tableau, les montants en francs des amendes et sanctions pécuniaires « sont convertis aux montants en euros correspondant aux montants en francs mentionnés dans le tableau et immédiatement inférieurs » (article 3, al. 2 de l'ordonnance précitée du 19 septembre 2000 et article 1er-II du décret précité du 27 avril 2001).
- Pour les montants autres que les amendes et sanctions pécuniaires, par exemple, taux du ressort ou de compétence, tarifs, aide juridictionnelle, l’adaptation en a été fixée, pour ce qui relève de la justice et des décrets pris en Conseil d'État, par le décret no 2001-373 du 27 avril 2001 (JO du 29 avril).
            2) En deuxième lieu, l’unification européenne qui se poursuit a conduit à réformer complètement la profession de commissaire-priseur. Les trois décrets du 19 juillet 2001 (n° 650 à 652) pris en application de la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, d’une part, réglementent les conditions requises pour être dirigeant d’une société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et, d’autre part, fixent les nouvelles conditions d’accès à la profession de commissaire-priseur judiciaire (voy. la rubrique Commissaire-priseur dans la synthèse annuelle).
            3) En troisième lieu, l’Europe communautaire poursuit sa politique d’élaboration de règlements en matière de procédure ; après Bruxelles II en mai 2000, c’est au tour de la Convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, d’être transformée en règlement communautaire n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (au JOCE, n° L 12 du 16 janvier 2001, voy. la synthèse annuelle, V° Convention de Bruxelles).

b) Pour ce qui concerne le Conseil de l’Europe et plus précisément l’application de la Convention européenne des droits de l’homme par la Cour du même nom, l’année 2001 aura été moins riche que les années 1999 et 2000 (v. nos précédentes synthèses et le Précis de droit processuel/ droit commun du procès, février 2001). On relèvera l’arrêt Mortier c/France du 31 juillet, qui confirme la position de la Cour donnée dans l’arrêt Annoni di Gussola c/ France du 14 novembre 2000 (ce dernier arrêt est analysé dans la synthèse à la rubrique Convention européenne des droits de l’homme).
            Les juges du fond se plient aussi aux exigences européennes, ainsi qu’en témoigne un arrêt de la Cour de Versailles du 8 juin 2001 (analysé à la rubrique Convention européenne des droits de l’homme et procédure  civile), à propos de l’impossibilité pour un juge du fond de siéger dans une affaire dont il a connu en tant que juge des référés pour accorder une provision au créancier en raison du caractère non sérieusement contestable de l’obligation.
            Enfin, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a confirmé la jurisprudence de l’Assemblée plénière en réaffirmant que le fait de ne pas récuser un magistrat avant la clôture des débats, alors qu’on avait nécessairement connaissance de la cause de partialité invoquée par la suite, valait renonciation implicite à invoquer la violation du principe d’impartialité (sur cet arrêt, voy. la rubrique Récusation et renvoi dans la synthèse annuelle).

II – L’ADAPTATION DE LA PROCEDURE CIVILE AUX EVOLUTIONS DE NOTRE JUSTICE
            A) LA JUSTICE JUDICIAIRE
a) Le statut des magistrats
Que notre justice évolue, il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance des importantes dispositions de la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature : mobilité accrue des magistrats, limitation dans le temps de l’exercice de certaines fonctions, réforme de la procédure disciplinaire (avec élargissement du cercle des personnes pouvant saisir la formation disciplinaire), modification profonde du mode de recrutement (avec la pérennisation d’un recrutement lié à l’expérience professionnelle et à un âge minimum et non plus maximum). Cette loi, que personnellement nous appelions de nos vœux (v. notre Précis d’Institutions judiciaires) et dont nous avions préconisé la plupart des points adoptés, dessine un nouveau paysage de notre justice judiciaire, plus conforme à la haute idée que l’on doit avoir de la fonction de juge. Le lecteur en trouvera une analyse plus complète dans la rubrique Magistrature.

b)      Le rôle et le fonctionnement de la Cour de cassation
L’évolution de notre justice c’est aussi, malheureusement, la poursuite infernale de l’accroissement des affaires en instance d’être jugées à la Cour de cassation. D’où, raccrochées à la loi précitée du 25 juin 2001 (sans que le Conseil constitutionnel y ait trouvé à redire, ce qui ne manque pas de surprendre, tant leur objet est éloigné du statut des magistrats), des dispositions qui tendent, après tant d’autres, à permettre un réel filtrage des pourvois, à l’instar de la réforme déjà adoptée pour le Conseil d’Etat. L’année 2002 dira si les effets escomptés se sont produits.
Dans ces conditions de favoriser une évolution vers une Cour de cassation qui ne juge, en droit, que les affaires qui le méritent à ce titre, on s’étonnera que la Haute juridiction ait considéré, en Assemblée plénière du 16 octobre 2001, qu’elle devait exercer son contrôle sur l’existence d’une obligation non sérieusement contestable dans le cadre du référé provision (voy. la rubrique Référé civil de la synthèse).

c) Le contrôle exercé par le Conseil d’Etat sur les décrets de procédure civile
1) Au titre des évolutions de fond, on soulignera encore l’instauration, par le décret n° 2001-212 du  8 mars 2001, d’un droit de recouvrement ou d’encaissement à la charge du créancier et au profit de l’huissier de justice ; suite à l’annulation, par le Conseil d’Etat, le 5 mai 1999, des dispositions du décret du 12 décembre 1996 qui prévoyaient déjà cette possibilité que n’ouvrait pas la rédaction alors en vigueur de la loi du 9 juillet 1991 (d’où l’annulation), le législateur avait modifié l’article 32 de cette loi par la loi n° 99-957 du 22 novembre 1999, (article 1er) pour permettre, sous certaines conditions, la perception d’un droit proportionnel de recouvrement ou d’encaissement par l’huissier de justice, à la charge du créancier ; le décret du 8 mars 2001 fixe, précisément, ces conditions (v. la rubrique Frais et dépens de la synthèse annuelle).
2) Enfin, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 6 avril 2001, a annulé les dispositions du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 qui permettaient aux parties devant le tribunal d’instance d’être assistées et représentées par leur concubin ou par une personne certes attachée à leur service personnel, mais plus exclusivement (alors que c’était le cas antérieurement à ce décret) ; le Conseil d’Etat y a vu une atteinte au monopole des avocats. Voy. les rubriques Assistance et représentation des parties et Procédure devant le tribunal d’instance.

            B) LA JUSTICE ARBITRALE
            Outre l’interdiction désormais faite aux magistrats d’être arbitres (v. supra), on signalera au titre des évolutions importantes de notre justice, l’élargissement du champ d’application de la clause compromissoire par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques. Cette clause est désormais valable dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelles, sauf disposition législative contraire (voy. la rubrique Arbitrage en droit interne).
            Sans être une année exceptionnelle pour la procédure civile, 2001 aura néanmoins permis de préparer la procédure suivie devant nos juridictions civiles à affronter le siècle qui s’ouvre.

V - Synthèse pour 2002
VERS UNE JUSTICE CIVILE RECOMPOSEE
         
        L’année 2002 s’est terminée sans que de grandes réformes concernant la justice civile aient été mises en œuvre. Pour autant, le bilan est riche d’enseignements quant à la manière de réformer la justice et la procédure civiles et porteur de véritables bouleversements qui, en principe, devraient être actés au cours de l’année 2003.

            1) Quant aux méthodes, on retiendra deux événements marquants :

- En premier lieu, côté réglementaire, la tentative avortée d’imposer l’exécution immédiate de droit de toutes les décisions de justice, sauf rares exceptions, l’effet suspensif de l’appel passant au compte « pertes et profits » de la procédure civile. L’élaboration quasi clandestine du projet, la volonté de le soumettre à la consultation des professions judiciaires en un temps record, dans les quinze jours précédant une échéance électorale majeure, ont largement contribué à son échec. Les vives critiques d’une partie de la doctrine (certains y ont vu « une charrue avant les bœufs »[1], d’autres « une réforme politiquement inopportune, économiquement injustifiée et juridiquement dangereuse »[2]) et de la quasi totalité des professionnels concernés (avocats et avoués) ont porté à la fois, sur la procédure initiée dans la précipitation et sans véritable esprit de concertation, et sur le fond de la réforme ; derrière la suppression de l’effet suspensif  de l’appel se dessinait la volonté de réduire le nombre d’appels, donc l’accès à un deuxième juge (ne serait-ce que par la possibilité qui était offerte au premier président de la cour d’appel saisi d’une demande de suspension de l’exécution immédiate, d’apprécier les chances de réformation de l’appel, en opposition totale avec la jurisprudence actuelle et constante de la Cour de cassation). Avec le recul de quelques mois, on se demande même comment l’idée a pu germer dans l’esprit de certains que le pouvoir réglementaire pouvait passer en force sur un sujet aussi sensible, sans même avoir obtenu le consensus des professions concernées, à défaut de consulter les justiciables, via leurs représentants au Parlement. Réduire l’accès au deuxième juge n’est pas une mesure mineure, qu’un pouvoir exécutif finissant peut imposer à une vieille démocratie comme la nôtre ; il y a dans les fins de régime politique une sorte de période suspecte qui débute quand s’ouvre la campagne électorale et qui devrait interdire à ceux qui sont en place pour quelques jours seulement d’initier des réformes de fond. De la même façon, une fois l’échéance passée, le Conseil constitutionnel veille à ce que le législateur ne s’égare pas, lui aussi, sur des chemins dévoyés. On l’a vu avec le projet de loi sur les juges de proximité.

- En second lieu en effet, côté législatif cette fois, le Parlement (et le Gouvernement) a été rappelé à l’ordre, en douceur il est vrai, par le Conseil constitutionnel, à propos de la loi du 9 septembre 2002 créant les juridictions de proximité. Nonobstant le fait que deux candidats (au moins) à l’élection présidentielle aient envisagé la création de tels juges[3], ce qui traduit un certain consensus dans le pays, le Conseil a gelé l’application de ces nouvelles juridictions au motif qu’il n’avait pas connaissance du statut des futurs juges de proximité qui constitueront ces nouvelles juridictions, notamment au regard de leur indépendance et de leur impartialité. Cette loi est donc, sur ce point, une loi-programme plus qu’une loi instaurant de nouvelles normes. Il reste que les futures juridictions de proximité, compétentes tant en matière civile (jusqu’à 1500 euros) qu’en matière pénale, bouleversent, à très court terme, le paysage de la justice civile.

            2) Les bouleversements à venir sont nombreux. 
On tiendra pour secondaire la publication du décret n° 2002-1436 du 3 décembre 2002 (JO du 12 déc.) dont on trouvera un commentaire dans ce numéro. En effet, pour l’essentiel, ce décret adapte notre droit procédural aux règlements européens de procédure, restaure le taux du dernier ressort du tribunal de commerce (pour 3800 euros à compter du premier janvier 2003), taux qui avait été malencontreusement supprimé lors de la recodification du code de commerce et d’autres lois commerciales en 2001 et soumettait à l’appel toutes les décisions de ces tribunaux, met en conformité avec la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 les textes du nouveau code de procédure civile relatifs à l’autorité parentale, tient compte de lois plus anciennes (réformes du 8 février 1995 sur le transfert de compétence au greffier en chef du TGI des déclarations conjointes en matière de filiation naturelle, du 5 juillet 1996 sur le remplacement de la déchéance de l’autorité parentale par le concept de retrait total, du 13 mars 2000 sur la preuve et la signature électronique et du 30 juin 2000 quant à la procédure de divorce) pour adapter en conséquence les textes du nouveau code de procédure civile. Mieux vaut tard que jamais, mais on ne peut s’empêcher de réitérer ici les critiques présentées précédemment sur la manière de travailler de la Chancellerie.
            En revanche, deux textes, l’un de 2001, l’autre de 2002, risquent de modifier en profondeur le paysage de la justice civile. On se souvient que la loi du 25 juin 2001 a organisé un filtrage des pourvois en cassation dont il semble bien que l’effet attendu de l’irrecevabilité des requêtes soit assuré, permettant ainsi à la Cour de cassation de retrouver son rôle de gardien du droit et non pas de juridiction de troisième recours. Quant à la loi précitée du 9 septembre 2002, elle sera complétée par une loi organique portant statut des juges de proximité. On sait déjà, par les dispositions de la loi du 9 septembre 2002, que la procédure suivie devant cette nouvelle juridiction sera celle du tribunal d’instance, mais que d’un point de vue organique, il s’agit bien d’un nouvel ordre de juridictions ; toutes les conséquences de cette instauration n’ont pas été tirées ni même entrevues. L’une des plus importantes est sans doute le mouvement de contournement de la justice professionnelle classique qu’elle traduit, avec un recrutement de 3300 juges en cinq ans, soit la moitié de l’effectif actuel (à temps plein) des juges professionnels ; certains y verront, peut-être, l’effet pervers d’un refus d’ouverture de cette vénérable institution vers la société civile par l’intégration des meilleurs de ses membres au sein des tribunaux, en fonctions certes accessoires mais néanmoins pertinentes, à l’instar de l’ouverture de l’université vers les magistrats qu’elle accueille volontiers et à son plus grand profit, en tant que professeurs associés. Pourquoi si peu d’intégration directe sur la base des textes existants? Pourquoi l’impossibilité pour des juristes confirmés, notamment des universitaires, d’être nommés magistrats associés (tout en conservant leurs fonctions d’enseignement et de recherche) comme les magistrats eux-mêmes peuvent rester magistrats tout en étant professeurs associés ? Pourquoi l’échec des magistrats temporaires de la loi du 8 février 1995 ? Il faut mettre en parallèle ce contournement du juge de jugement avec le contournement du juge d’instruction pénal par le projet de renforcement du champ d’intervention de l’enquête préliminaire et d’accroissement du rôle du Parquet pour comprendre que toute institution doit savoir se remettre en cause, accepter des évolutions majeures et parallèles à celles dont ses membres bénéficient, à peine de se retrouver un jour en présence d’une quasi-profession qui, progressivement, grandira et prendra sa place. Espérons, en ce début de l’année 2003 que ces sombres prévisions ne se réaliseront pas et que la justice de proximité saura trouver sa place dans un fonctionnement harmonieux et en bonne intelligence avec la justice professionnelle dont notre pays a et aura toujours besoin. De l’articulation entre les deux ordres dépend l’avenir de notre justice civile.

VI - Synthèse pour 2003
la justice civile de demain

L’année 2003 aura été marquée, essentiellement, par la mise en place des premiers juges de proximité dont la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 avait annoncé la création dans le principe même de leur existence. Elle se sera poursuivie par le rejet, par l’Assemblée nationale, de l’idée d’introduire dans notre système juridique, tout au moins dans l’immédiat, l’exécution provisoire de droit pour toutes (ou presque) les décisions de justice. Elle se termine par un projet très avancé de réforme de certaines professions juridiques et judiciaires. La procédure civile, en revanche, n’aura fait l’objet que de peu de réformes : un décret d’adaptation de la compétence des juridictions de première instance à la création des juges de proximité.
1. C’est bien sûr la mise en place des juges de proximité qui retiendra l’attention et que retiendra l’Histoire. Critiquées avant que de naître, parfois même moquées, ces nouvelles juridictions introduisent, il faut bien le die, un bouleversement important de la conception de la fonction de juge, puisqu’on passe du juge-technicien, le plus souvent sorti du moule de l’Ecole nationale de la magistrature (ce qui n’est pas en soi une critique), au juge issu de la société civile, même s’il ne faut pas exagérer cet aspect des choses, puisque beaucoup de juges de proximité sont d’anciens magistrats, aujourd’hui en retraite, ou sont issus de professions judiciaires. La juridiction de proximité est très proche du tribunal d'instance et, au fur et à mesure des travaux parlementaires sur la loi du 9 septembre 2002 qui l’a créée et sur la loi organique du 26 février 2003 portant statut de ces juges, cette tendance s'est renforcée. En fait, les deux juridictions apparaissent plus complémentaires que concurrentes et le juge de proximité est étroitement lié au juge d'instance, tant dans son organisation, sa compétence que sa procédure. L'hypothèse de créer des assesseurs non professionnels des juges d'instance, dans le cadre d'une vaste réforme de toutes les juridictions de première instance, réunies en un seul tribunal départemental, aurait mérité d'être creusée.

a) La compétence civile des juridictions de proximité a été fixée par la loi précitée du 9 septembre 2002 essentiellement par rapport à la compétence du juge d'instance dont elles apparaissent comme des compléments. Quant à la loi organique du 26 février 2003 elle fixe d'entrée de jeu les termes du débat en proclamant que les juges de proximité sont nommés « pour exercer une part limitée des fonctions des magistrats des juridictions judiciaires de première instance » (art. 41-17, ord. no 58-1270, 22 déc. 1958). Les conditions de nature de l'affaire, de qualité de la personne qui agit et de seuil de cette compétence doivent être combinées entre elles et articulées avec la compétence du tribunal d'instance (art. L. 331-2, COJ). On soulignera que la juridiction de proximité statue toujours en dernier ressort, jamais à charge d'appel. Le décret no 2003-542 du 23 juin 2003 est venu apporter les précisions nécessaires à une bonne articulation avec la compétence du tribunal d'instance. Le juge de proximité peut toujours renvoyer au juge d'instance une affaire relevant de sa compétence s'il estime qu'il se heurte à une difficulté juridique sérieuse portant sur l'application d'une règle de droit ou sur l'interprétation d'un contrat liant les parties ; il doit entendre les parties avant renvoi et sa décision est une mesure d'administration judiciaire insusceptible de recours ; le juge d'instance reprend la procédure en l'état où l'a laissée le juge de proximité, sauf à réentendre les parties si elles ont déjà plaidé (art. L. 331-4, COJ et 847-4, NCPC). Il doit renvoyer au juge d'instance toutes les exceptions de compétence (art. 847-5, NCPC).

b) Ainsi encore, en ce qui concerne la procédure à suivre devant ces juridictions, la loi du 9 septembre 2002 renvoie aux dispositions applicables devant le tribunal d'instance (art. L. 331-3, COJ) et ajoute qu'il se prononce après avoir cherché à concilier les parties par lui-même ou en désignant un tiers avec l'accord des parties. Le décret n. 2003-542 du 23 juin 2003 modifie en conséquence le titre 2 du livre 2 du NCPC qui devient un titre commun à ces deux types de juridiction. Ce même décret harmonise la rédaction des articles qui étaient jusqu'ici propres au tribunal d'instance, pour les rendre communs à ces deux juridictions, sans changement au fond. En réalité, le décret du 23 juin 2003 limite le renvoi à la procédure ordinaire suivie devant le tribunal d'instance et à la procédure sur renvoi d'une juridiction pénale (sous-titres 1 et 4 du titre 2, livre 2, NCPC) ; les procédures sous requête (sous-titre 3) et de référé (sous-titre 2) sont résumées au seul tribunal d'instance (art. 25, D. 23 juin 2003). En revanche, les procédures d'injonction de payer et de faire sont de la compétence du juge de proximité jusqu'à 1 500 euros et le décret du 23 juin 2003 harmonise la procédure suivie dans ce cas pour tenir compte des spécificités du juge de proximité dans son incapacité à connaître du règlement des incidents de compétence (art. 21 à 25 du décret du 23 juin 2003). En outre, l'article L. 331-4, COJ, articule la procédure suivie devant cette juridiction avec celle du tribunal d'instance en permettant au juge de proximité, d'office ou à la demande de l'une des parties, de renvoyer l'affaire à ce tribunal lorsqu'il se heurte à une difficulté juridique sérieuse portant sur l'application d'une règle de droit ou sur l'interprétation du contrat liant les parties[4] (v. supra, n. 281-2, d). Dans le même esprit, le décret du 23 juin 2003 renvoie le règlement de tous les incidents de compétence au juge d'instance (art. 847-5, NCPC). Enfin, lorsqu'il y a un risque d'absence d'indépendance du juge de proximité en raison de son activité professionnelle ou de ses relations professionnelles avec l'une des parties (art. 41-22, ord. 23 déc. 1958), le président du TGI est saisi par le juge de proximité ou l'une des parties et soumet l'affaire à un autre juge de proximité du même ressort, par simple transmission du dossier, sans délai et par une décision insusceptible de recours (même texte et art. R. 721-4, COJ, aj. D. 23 juin 2003). C’est donc par trois fois que l’harmonisation organique des deux juridictions est soulignée en matière de procédure à suivre.

2. L’introduction d’un système d’exécution provisoire de plein droit de presque toutes les décisions de justice a finalement été rejetée. 
Le lecteur se souvient certainement que l’année 2002 avait été marquée par une vive controverse opposant les partisans et les adversaires de cette réforme, qu’un avant projet de décret d’un pouvoir politique finissant, dans le sprint final d’une fin de règne, tentait d’imposer par tous les moyens, sans concertation véritable. Le Sénat, au cours de l’examen du projet de loi sur les professions juridiques et judiciaires, introduisait un amendement imposant cette exécution, d’une manière assez générale ; la voie législative était ainsi choisie (ce que certaine doctrine avait suggéré, estimant trop importante une telle réforme, au regard du principe d’un véritable second degré de juridiction, pour passer par la seule voie réglementaire). Finalement, la Commission des lois de l’Assemblée nationale décida d’étudier la question de manière approfondie et un rapporteur fut désigné pour entendre des personnalités qualifiées en vue d’éclairer les députés ; l’amendement sénatorial a été rejeté et il ne semble pas, à l’heure où ces lignes sont écrites, qu’il sera repris. Voila que la sagesse l’a emporté, même s’il importe de souligner que la Commission lie la question de l’exécution immédiate à la qualité de la justice civile de première instance et laisse donc ouverte une généralisation de cette technique, lorsque la qualité de cette justice aura fait des progrès.

3. Enfin, en cette fin d’année 2003, on notera qu’un important projet de loi portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires est sur le point d’être adopté définitivement ; vient moderniser l’accès à certaines de ces professions (notamment la profession d’avocat pour tenir compte des directives européennes sur la liberté d’établissement) et l’exercice de certaines autres ou des fonctions d’experts près les tribunaux.

Petit à petit, c’est ainsi une nouvelle justice civile qui se met en place, plus moderne, plus proche des justiciables et, espérons-le, plus simple dans ses règles de compétence et de procédure (on pense au renvoi au juge d’instance du règlement des conflits de compétence au niveau des juridictions de proximité). Espérons que 2004 nous apportera une simplification et une accélération de la mise en état des affaires civiles.

VII - Synthèse pour 2004

Célérité, loyauté, modernisation et européanisation

L’année 2004 aura été marquée par de très nombreuses réformes de procédure civile dont le lecteur assidu des Cahiers de l’Actualité aura pu prendre connaissance au fur et à mesure de leur publication. L’importance quantitative et qualitative des réformes de pure technique procédurale introduites dans notre système juridique tranche avec l’apathie de ces dernières années où la justice civile naviguait entre réformes de fond (création, par exemple, de la juridiction de proximité) et débats entre spécialistes sans réalisation concrète (exécution provisoire). 
 I - Les textes législatifs de 2004
 Au niveau des textes législatifs, c’est la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques qui retient l’attention ; elle était attendue et nécessaire. Attendue des professionnels qui exprimaient leur souci de modernisation, nécessaire par le besoin de performance qu’elle traduit. L’unité conceptuelle de cette loi est réelle, malgré l’apparence de dispersion (avocats, greffiers des tribunaux de commerce, experts judiciaires, huissiers de justice, notaires, experts en ventes aux enchères publiques, conseils en propriété industrielle). Elle tourne autour de l’idée que la formation est le gage de la compétence des professionnels du droit et que, corrélativement, le renforcement de la déontologie et de sa sanction à travers le pouvoir disciplinaire est le gage d’une confiance renforcée. 
II - Les textes réglementaires de 2004
 Au niveau des textes de nature réglementaire, on insistera sur trois d’entre eux :
- Le décret n° 2004-180 du 24 février 2004 qui consacre l’effectivité de la réforme du surendettement des particuliers suite à la création de la procédure de rétablissement personnel du débiteur par la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 et qui accroît la compétence du juge de l’exécution.
- Le décret n° 2004-836 du 20 août 2004 qui balaie l’ensemble du nouveau code de procédure civile en soixante articles et se caractérise essentiellement par un renforcement du rôle des avocats dans les procédures devant le Cour de cassation, une réforme substantielle de la procédure d’appel, la possibilité de « prononcer » le jugement sans le lire à une audience, en le déposant simplement au greffe de la juridiction, le pouvoir enfin reconnu au premier président de la cour d’appel de suspendre une exécution provisoire de droit entachée d’une violation manifeste du principe du contradictoire ou de l’article 12 et lorsque cette exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives, l’extension des pouvoirs du juge de la mise en état (ce qui renforce le caractère inquisitoire de la procédure civile), la modification des procédures d’annulation et de rectification des actes de l’état civil, le pouvoir du juge de relever d’office les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité ou de chose jugée (en plus de celle tirée du défaut d’intérêt), la mise en conformité de certaines dispositions avec le droit communautaire, telles que les mesures d’instruction ou la reconnaissance des jugements étrangers, etc… Préparé par les travaux d’une commission de réforme animée par notre collègue le Professeur Georges BOLARD, ce décret modernise notre procédure civile en accroissant les pouvoirs du juge et en tenant compte du droit communautaire, de plus en plus présent dans notre système juridique.
- Le décret n° 2004-1158 du 29 octobre 2004 qui constitue le texte d’application de la réforme du divorce et règle aussi les procédures relevant de la compétence du juge aux affaires familiales, l’exercice de l’autorité parentale et le déplacement illicite international d’enfants.

III - Les débats de 2004

 Au niveau des débats, on soulignera que la réforme portant sur la place et le rôle de l’avocat général à la Cour de cassation s’est finalement imposée, traduisant, concrètement, la force obligatoire du droit européen, même issu d’une simple jurisprudence des juges de Strasbourg. Avec le recul, on constatera que la France et son système judiciaire ne se sont pas effondrés, que les craintes des magistrats qui s’opposaient à la réforme étaient largement surestimées, infondées et, pour tout dire, ne se sont révélées être que des fantasmes. Qu’il est doux de se faire peur à soi-même !

Un autre débat a repris sur la qualité de la justice à la suite de la publication, au mois de septembre, sur le site du ministère de la Justice, du rapport du Président du tribunal de grande instance de Paris ; intitulé « célérité et qualité de la justice », le rapport couvre le champ de la justice civile et de la justice pénale et contient deux propositions forts intéressantes, à côté de préconisations assez ahurissantes : la consécration du principe de loyauté comme principe directeur du procès civil et le recours accru aux techniques modernes de communication ne peuvent qu’être approuvés et encouragés ; nous avions, dès 1999, dégagé ce nouveau principe directeur[5] et ne pouvons que nous réjouir de voir cette idée solennellement reprise ; quant aux techniques de communication liées à l’informatique et au numérique, elles ne peuvent qu’aider à sortir la Justice de ses contraintes, servitudes et autres encombrements. On sera plus réservé en revanche sur d’autres préconisations. Inscrire le principe de loyauté en droit du procès dans une logique exclusive de célérité de la justice, de gestion quantitative des flux judiciaires, serait une grave erreur. C’est pourtant ce que laisse penser la lecture du rapport « Célérité et qualité de la Justice ». Sans d’ailleurs que la lettre de mission du garde des Sceaux ne soit reproduite en-tête du rapport (bien qu’annoncée), le principe de loyauté, affirmé et proclamé comme un principe directeur du procès, est ici inséré dans une pure logique de célérité, puisque telle est l’une des composantes de l’intitulé du rapport. Les comportements déloyaux des parties (il n’est pas question de ceux du juge) sont mis en perspective avec la durée des procédures ; en réalité, il est à craindre qu’il ne s’agisse purement et simplement de museler les parties pour que leurs initiatives procédurales soient sanctionnées plus aisément. Dans le cadre d’un objectif de qualité, deux principes seulement sont affirmés, loyauté (dont il est demandé qu’il soit reconnu comme un principe directeur du procès) et célérité ; le lien entre les deux est évident et la qualité n’est qu’un prétexte qui habille d’un vêtement de respectabilité (qui ne souscrirait à un tel objectif ?) une entreprise de reprise en mains par le juge de la conduite des procès pour aller vite (mais sans doute pas très bien) dans le but (inavoué) d’évacuer les rôles. Au profit de quels intérêts ? Certainement pas ceux des justiciables, malgré l’affirmation que c’est « l’intérêt général » et « l’image d’une justice enfin digne du label européen » qui sont ici visés.
La preuve la plus éclatante en est donnée par la proposition littéralement ahurissante d’imposer l’exécution provisoire de plein droit des décisions de première instance, alors que cette malheureuse solution a été écartée six mois auparavant par celui-là même qui a commandé le rapport, c'est-à-dire le garde des Sceaux (quel respect, quelle loyauté envers l’exécutif ?)[6] ; alors qu’un amendement du Sénat au projet qui devait devenir la loi du 11 février 2004 sur les professions judiciaires a été repoussé par l’Assemblée nationale après qu’un rapport ait été établi par une mission parlementaire et qu’une étude approfondie et contradictoire a montré que le système actuel de l’exécution provisoire à la discrétion du juge était sans doute la meilleure solution (quel respect pour la représentation nationale puisque le rapport feint de ne pas s’apercevoir que les députés n’en ont pas voulu?).
Ou encore, pourquoi vouloir chasser des prétoires les parties et la procédure accusatoire au profit d’un juge d’instruction civil et de la procédure inquisitoire, en limitant, par exemple, la production des pièces nouvelles devant la cour d’appel, au mépris de la découverte de la vérité, et la recevabilité de moyens nouveaux au détriment de l’évolution du litige et de la liberté des parties de faire évoluer leur stratégie procédurale ? La liberté des parties est totalement entravée dans le préconisation que les pièces nouvelles et les conclusions complémentaires ne pourraient être produites ou déposées que sur autorisation du juge, alors qu’il arrive qu’une partie ne puisse se procurer une pièce au début de l’instance pour des raisons indépendantes de sa volonté. Quelle conception de la justice peut inspirer une telle préconisation, si ce n’est que les parties sont aux ordres du juge, que la procédure est faite pour brider leurs initiatives et non pas pour promouvoir leur liberté ?
Où est l’égalité des armes lorsque le demandeur pourra préparer les siennes pendant des mois avant de lancer son assignation, alors que le défendeur se voit imposer un délai de deux mois pour signifier ses premières conclusions et pièces ?
Où est la liberté de se défendre lorsque les avocats devraient subir une sorte d’examen oral au cours d’une audience de plaidoiries dite « interactive » et dont le résultat le plus spectaculaire sera de réduire le temps des plaidoiries au profit de questions posées par le juge aux avocats sur des points limités ?
En contrepoint, on se permettra de rappeler que lorsque nous avons préconisé que la loyauté devienne un principe directeur du procès, cette proposition s’insérait dans un système cohérent et complet qui n’était au service que d’une seule cause, la défense des intérêts du justiciable. Le procès est une équation à trois dimensions indissociables : loyauté, dialogue et célérité. Abandonner l’une c’est déséquilibrer le droit du procès ; amputer du principe de dialogue ce triangle existentiel, c’est tout ramener à une exigence d’aller vite, mais pas nécessairement bien ; c’est confondre vitesse et précipitation, c’est sacrifier la sérénité au seul profit de la seule célérité. Insister sur les seules exigences de loyauté et de célérité, n’est-ce pas, même inconsciemment, même par pulsion freudienne, tout ramener et tout réduire aux seuls aspects quantitatifs du droit du procès, exigence d’une époque d’évacuation des flux judiciaires qui encombre la justice (en tant qu’institution) contre les valeurs éternelles que la Justice (en tant que vertu cette fois) porte en elle ? Evacuer les rôles, soulager les juges du fardeau des dossiers innombrables, sans dialogue, c’est nier la liberté du justiciable, car s’il faut être loyal, encore faut-il pouvoir rester libre de conduire sa procédure (civile) comme on l’entend.
Célérité et loyauté doivent s’articuler avec le dialogue et la liberté. Les réformes allemandes le démontrent : la généralisation du juge unique, le rôle plus directif du juge dans le renforcement de la direction matérielle du procès par le juge, la réduction du champ de l’appel, la restriction d’accès à la Cour fédérale de justice[7], ont conduit un auteur à se demander si toutes ces modifications ne traduisaient pas la méfiance des politiques envers les avocats et les magistrats, au lieu de renforcer la protection du justiciable[8].

Pour terminer on signalera que le ministère de la Justice a soumis à la consultation des professions judiciaires concernées, en novembre 2004, un avant-projet de réforme de la saisie immobilière, maintes fois annoncé, toujours reporté et dont les principales dispositions sont issues des réflexions d’un groupe de travail qui s’était réuni à la Chancellerie de septembre 19967 à mai 1997 autour du signataire de ces lignes. Comme quoi, si la Justice est lente, il ne faut jamais désespérer de sa capacité à progresser sur la voie des réformes, celle-ci devant « sortir » en 2005, si tout va bien. L’occasion nous sera donc donnée d’en reparler !


VIII - Synthèse pour 2005
une procédure numérisée et communautarisée
dans une justice mondialisée, modernisée
et (enfin) …. responsabilisée ?
(avec un aperçu du décret n°2005-1678 du 28 décembre 2005)


  L’année 2005 aura commencé sous le signe d’une certaine forme de mondialisation, avec l’annonce forte et inattendue, par le chef de l’Etat, lors de la présentation de ses vœux aux corps constitués, de sa volonté d’assurer l’effectivité des droits des consommateurs en promettant l’introduction, dans notre système procédural tout empreint d’esprit romano-germanique, d’une institution typiquement anglo-saxonne, la class action. L’exemple même d’un souhait de modernisation de notre Justice sous l’effet de la mondialisation des échanges économiques, des concepts juridiques et des techniques procédurales. 2005 se sera poursuivie avec l’anniversaire, fêté par les avoués près les cours d’appel, du trentenaire du nouveau code de procédure civile (cf. le compte-rendu d’Anne Raymond-Grèze aux Cahiers de l’actualité 2005-4, p. 1). Cette année se sera terminée avec le problème, malheureusement plus classique, lancinant et franco-français, de la responsabilité des gens de Justice, essentiellement, mais pas exclusivement, des magistrats, à la lumière de cette catastrophe judiciaire que fut l’affaire d’Outreau.
            Que faut-il donc retenir, au-delà de ces trois évènements, de l’année 2005 ? Que l’électronique (le numérique) et le droit communautaire tendent de plus en plus à bouleverser la conception classique de notre droit procédural (I), que la procédure civile s’adapte aussi aux grandes évolutions de notre temps (II) mais que la jurisprudence et nos débats doctrinaux ou de société (III) restent encore largement marqués par une conception plus traditionnelle de la Justice et de la procédure.

i – une procédure numérisée et communautarisée

A) La numérisation des actes des huissiers de justice
 C’est seulement le 1er février prochain (2006) qu’entrera en application le décret n° 2005-972 du 10 août 2005 qui adapte le principe du double original imposé aux huissiers de justice pour la rédaction des actes et procès-verbaux, aux nouvelles possibilités qu’offre l’usage de l’électronique. Il n’en demeure pas moins que ce texte marque l’entrée officielle de la procédure civile dans l’ère du numérique ; à n’en pas douter d’autres adaptations suivront celle-ci. Bien évidemment, des précautions sont prises pour assurer la sécurité des actes, leur confidentialité, leur transmission, leur conservation, ce qui conduit à accorder un rôle important à la Chambre nationale des huissiers de justice et à ne pas éliminer le support papier de la chaîne du support électronique.

B)    La numérisation de la communication procédurale
C’est le décret, tant attendu par ailleurs (v. infra, III), n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 (JO du 29 décembre, encore un nouvel an de procédurier !) qui introduit, dans le nouveau code de procédure civile, des dispositions qui marquent l’entrée de la procédure civile dans l’ère du numérique, au-delà des seuls actes des huissiers de justice. En effet, d’une part, l’article 71 de ce décret crée un article 729-1 dans le NCPC et, d’autre part, institue, dans le Livre 1er, un nouveau titre XXI (l’ancien, entièrement dédié à l’article 749, devenant le titre XXII). Le nouvel article 729-1 permet de tenir sur support électronique, ces trois importants documents que constituent pour toute affaire portée en justice, le répertoire général, le dossier et le registre ; le texte prend soin de préciser que le système de traitement des informations doit en garantir l’intégrité et la confidentialité et permettre d’en assurer la conservation ; cette disposition entrera en vigueur au 1er mars 2006. En revanche, les dispositions qui suivent n’entreront en vigueur qu’au 1er janvier 2009, sauf dérogation accordée par arrêté ministériel ; de quoi s’agit-il ? De la possibilité, contenue dans les articles 748-1 à 748-6 qui forment désormais le nouveau titre XXI, d’effectuer par voie électronique, les envois, les remises et les notifications, d’une part des actes de procédure, pièces, avis, avertissements ou convocations, rapports et procès-verbaux, d’autre part, des copies et des expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles (art. 748-1) ; les articles 748-2 à 6 en déterminent les conditions et modalités, avec notamment l’accord expresse du destinataire de l’acte à l’utilisation de la voie électronique (art. 748-2) et la possibilité, toujours réservée à la partie intéressée, d’obtenir la délivrance, sur support papier, de l’expédition de la décision juridictionnelle revêtue de la formule exécutoire (art. 748-5) ; le juge peut toujours exiger la production du document en support papier si l’original a été établi sous cette forme (art. 748-4). Si ces dispositions n’entreront en vigueur que le 1er janvier 2009, l’article 88 du décret réserve la possibilité, dans son alinéa 2, d’une application anticipée dans le ressort de certaines juridictions, désignées par arrêté du garde des sceaux, pour les actes de procédure qu’il désigne aussi, mais seulement après approbation de conventions passées entre le président de la juridiction et une ou plusieurs catégories d’auxiliaires de justice, convention qui organiseront ce recours à la communication électronique ; des conventions-cadres nationales conclues entre le ministre de la justice et les instances représentatives, au niveau national, des auxiliaires de justice, permettront de ne pas recourir à l’approbation des conventions locales par le ministre, dès lors que ces conventions seront conformes aux convention-cadres. Ainsi, se met en place une certaine forme de contractualisation de la justice.

c) La poursuite de la communautarisation de notre procédure civile s’est traduite :
- d’une part, par la transposition, dans l’article 3-1 de la loi n° 91-647 du 9 juillet 1991 relative à l’aide juridique, de la directive CE n° 2003/8 du 27 janvier 2003 visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières (loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005). Désormais, l’aide juridictionnelle devra couvrir, dans le cadre des affaires transfrontalières, les frais de traduction de la demande et des documents exigés pour l’instruction, ceux des documents que le juge estime indispensable d’examiner pour apprécier les moyens soulevés pour le bénéfice de l’aide, les frais de déplacement des personnes dont la présence est requise. En outre, l’aide à l’accès au droit permettra de prendre en charge, toujours dans les litiges transfrontaliers, la consultation d’un avocat, préalablement à la réception de la demande d’aide juridictionnelle par l’Etat de la juridiction compétente sur le fond (cf. Cahiers de l’actualité 2005-4, p. 9). Décret d’application du 29 novembre 2005 ;
- et, d’autre part, par l’adaptation de notre code de procédure civile au droit communautaire issu du règlement CE n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et de responsabilité parentale : adaptation dans l’article 509-1, pour ce qui est de la certification des titres exécutoires français en vue de leur reconnaissance et de leur exécution à l’étranger ; adaptation dans l’article 509-2, pour ce qui est de la reconnaissance des titres exécutoires étrangers aux fins de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire sur le territoire de la République française. Ces deux textes sont créés par le décret n° 2005-460 du 13 mai 2005, articles 26 et 27 (cf. Cahiers de l’actualité 2005-4, p. 12).

ii – une procédure en harmonie avec les evolutions de notre temps

A) Le souci d’égalité
C’est, bien sûr, le droit de la filiation qui subit davantage que d’autres domaines, le poids des évolutions sociologiques qui marquent les relations familiales. Plus de trente ans après la loi du 3 janvier 1972 qui avait constitué un tournant capital dans la recherche d’une plus grande égalité patrimoniale entre les enfants, quelle que soit la nature de leur filiation, l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 vise tout simplement à gommer toute différence entre les filiations légitime et naturelle. Vaste ambition, qui se traduit par une refonte complète de notre code civil sur ce point et, pour ce qui concerne le contentieux du lien de filiation, par l’harmonisation du régime procédural de l’établissement judiciaire de la filiation (en contemplation de l’égalité de statut entre enfants quelles que soient les conditions de leur naissance et de l’unification des conditions d’établissement de la filiation naturelle) et par la simplification, doublée d’une harmonisation, du régime des actions en contestation de filiation. Sur ce dernier point, le titre du code civil consacré au droit de la filiation est entièrement restructuré en quatre chapitres, dont les deux derniers intéressent directement la procédure civile, avec les actions (judiciaires) relatives à la filiation (chapitre 3) et les actions à fins de subsides (chapitre 4). On en trouvera un commentaire dans les Cahiers de l’actualité 2005-4, p. 12.
B) Le besoin de proximité
Créés par la loi du 9 septembre 2002, instaurés par celle du 26 février 2003, les juges de proximité ont vu leur compétence redéfinie par la loi n° 2005-47 du 26 janvier 2005 et le décret n° 2005-460 du 13 mai 2005. En réalité, la loi de janvier 2005 va beaucoup plus loin que le seul aménagement technique des règles de compétence d’attribution et territoriale des juges de proximité ; elle réorganise tout le contentieux de première instance en le redistribuant entre juges de proximité, tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance, ce qui tend à prouver, par l’entrée de la « cuisine » procédurale, que le législateur de 2002 a bien eu tort de ne pas élever le débat par une vraie réflexion sur la place respective de chacune de nos juridictions de première instance, ce qui aurait pu conduire à une véritable et autre politique de l’organisation judiciaire, autour d’un tribunal départemental de première instance, avec, pourquoi pas, des assesseurs issus de la société civile. On ne réécrira pas l’histoire judiciaire, mais on notera que le législateur de 2005 a tout de même simplifié les règles de compétence applicables aux instances du premier degré et mis un peu d’ordre et de logique dans la répartition des compétences entre les trois types de juridiction du premier degré. Ainsi, pour les juridictions de proximité, l’ambiguïté de l’expression « action personnelle mobilière » est levée par l’utilisation de celle, plus claire « d’action personnelle ou mobilière ». Ainsi encore, on doit relever le souci d’harmoniser l’articulation des taux : compétence, pour ce type d’action, du juge de proximité jusqu’à 4 000 euros, du tribunal d’instance au-delà et jusqu’à 10 000 euros, du tribunal de grande instance au-delà de cette somme ; le montant du litige redevient la règle pour répartir les contentieux puisque le juge de proximité peut désormais connaître de ces actions personnelles ou mobilières, même lorsqu’elles sont introduites par une personne morale ou par une personne physique pour les besoins de sa vie professionnelle. Les nostalgiques de l’ancien paysage procédural regretteront, sans doute, que les tribunaux d’instance perdent leur compétence en premier et dernier ressort (en fonction du montant du litige) en matière d’action personnelle ou mobilière, puisque c’est désormais toujours à charge d’appel qu’ils connaîtront de ces actions entre 4 000 et 10 000 euros et qu’ils perdent aussi leur compétence en matière possessoire, contentieux aujourd’hui confié au seul tribunal de grande instance (art. L. 312-7, code de l’organisation judiciaire) ; mais la lisibilité des règles de compétence et la sécurité juridique qu’elle entraîne pour les justiciables méritaient bien cette évolution ! En revanche, toujours dans un souci de lisibilité accrue, les juges de proximité et les TGI sont exclus de deux contentieux, au profit des seuls tribunaux d’instance qui retrouvent pleine compétence pour les baux d’habitation (art. L. 321-2-1, COJ) et les actions relatives au crédit à la consommation (art. L. 321-2-3, COJ), en dernier ressort jusqu’à 4 000 euros, à charge d’appel au-delà. Le même souci de clarté a conduit le législateur à confier aux seuls tribunaux d’instance le contentieux de l’expulsion des occupants sans droit ni titre des immeubles à usage d’habitation, mais toujours à charge d’appel (article L. 321-2-2, COJ).
C)    L’exigence de loyauté
Sans revenir ici sur les critiques que nous avions émises à l’encontre du rapport remis au Garde des sceaux, en septembre 2005, par le président du TGI de Paris et qui sacrifiait la loyauté au profit de la célérité (tout en l’affichant en objectif) (cf. Cahiers de l’actualité 2005-1, spéc. p. 5), il faut signaler, au titre de l’actualité jurisprudentielle de cette exigence de loyauté, deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation :
- le premier (Civ. 1ère, 7 juin 2005, pourvoi n° 05-60-044, D. 2005, 2570, note M.E. Boursier) consacre le principe de loyauté des débats comme nouveau principe directeur du procès civil en annulant les élections au Conseil de l’ordre des avocats du Barreau de Paris ; une note en délibéré, constituée d’une lettre susceptible d’influer sur l’opinion des juges, présentée spontanément par une partie alors que son adversaire était en sa possession avant la clôture des débats mais ne l’avait pas communiquées, est déclarée recevable en vertu de ce principe « qui s’impose au juge et aux parties au regard des articles 10, al. 1er et 3, NCPC ». Comment dès lors continuer à douter, comme certains auteurs qui ne souhaitent pas voir les évolutions dégagées par la doctrine processualiste la plus éclairée (c'est-à-dire à l’écoute des droits fondamentaux du procès), que le principe de loyauté constitue un nouveau principe directeur du procès civil ? Comment continuer à affirmer qu’il ne présente aucune utilité, alors que les deux arrêts précités prouvent le contraire ? Sans ce nouveau principe directeur les solutions adoptées auraient-elles pu être prises ? Faudra-t-il que la Cour de cassation énonce expressément qu’il s’agit bien là d’un nouveau principe directeur pour que les plus sceptiques acceptent enfin de se rallier à cette vision moderne de la procédure civile ? Reste à espérer que ceux qui développent cette thèse dans leurs travaux ne soient pas considérés comme étant dans l’erreur, alors qu’il s’agit d’une opinion étayée par des arguments solides.
- Le second arrêt (Civ. 1ère, 6 juill. 2005, pourvoi n° 01-15.912, Cahiers de l’actualité 2005-5, p. 4), non sans lien avec le premier, consacre l’estoppel en droit français, en sanctionnant par l’irrecevabilité de sa demande, le plaideur qui, après avoir lui-même introduit une demande d’arbitrage et avoir participé pendant neuf ans, sans aucune réserve, à la procédure qui en était résultée, soutient, devant le juge étatique, que la juridiction arbitrale aurait statué sans convention d’arbitrage ou sur une convention nulle !

iii – une justice à la croisée des chemins

            La croisée des chemins, c’est une Justice dont le mode de recrutement de certains de ses auxiliaires (pas des moindres, puisqu’il s’agit des avocats) vient d’être modifié en profondeur, sous couvert d’une disposition anodine. C’est aussi une Justice qui se réveille le 29 décembre 2005 avec la publication, tant attendue, décriée et redoutée par certains, du décret de réforme de la mise en état, de l’exécution provisoire et de bien d’autres domaines ; une Justice qui attend toujours la réforme de la saisie immobilière. C’est enfin une Justice qui ouvrira ou non une voie d’accès plus large à certaines actions en responsabilité.
A) Le devenir de la formation des avocats par la consécration du salariat comme voie d’accès à la profession
Il y a plus de vingt ans, la profession s’était interrogée sur l’exercice de la profession d’avocat en qualité de salarié. Dans une autre voie, le décret n° 2005-1381 du 4 novembre 2005 permet aux juristes salariés d’un avocat (ou d’une association ou d’une société d’avocats, ou d’un office d’avoué ou d’avocat aux Conseils) de devenir avocats, pourvu qu’ils aient huit ans d’ancienneté dans ce salariat et cette fonction, postérieurement à l’obtention de la maîtrise en droit ou du titre ou diplôme reconnu comme équivalent pour l’exercice de la profession. Ainsi se trouve légalisée une vieille revendication, non dépourvue de pertinence pour les intéressés (on songe à la promotion et à la reconnaissance que cette réforme consacre), mais non sans danger, puisque cette nouvelle voie pourra constituer, à terme, une voie de contournement de l’accès à la profession par les Centres régionaux de formation professionnelle d’avocats ; un an après la réforme des études conduisant à l’obtention du titre d’avocat (décret n° 2004-1386 du 21 décembre 2004, cf. Cahiers de l’actualité 2005-1, p. 7), avec une formation en 18 mois, sans stage post-CAPA, les cabinets d’avocats pourront recruter directement des candidats ne souhaitant pas passer le double examen des IEJ et du CAPA, tout en pouvant devenir avocat au bout de huit ans d’exercice de la fonction. N’est-ce pas la preuve par neuf de l’inutilité de tous les débats sur la formation qui agitent la profession et quelques universitaires, notamment au sein de la Commission formation du Conseil national des Barreaux ? Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de cette logique et reconnaître que pour être avocat, point n’est besoin de passer par un centre de formation, de se soumettre à la double exigence d’un examen « filtrant » dans les IEJ et d’une formation sans rémunération pendant 18 mois et qu’il suffirait, peut-être, de s’interroger sur la suite logique de cette réforme : sa généralisation à tous ceux qui veulent devenir avocat, avec un accès dès la maîtrise obtenue, ce qui régulerait, par l’exigence d’un contrat de travail, le nombre d’avocats, en adaptant les recrutements aux besoins réels de la profession, sans parler de l’avantage financier par la suppression des centres de formation ; dans la même logique, la voie de l’alternance, par l’apprentissage, pourrait compléter la formation du salarié en liaison avec l’Université, pourquoi pas dans un master 2 professionnel ; nous sommes prêts à pendre le pari que dans quelques années cette voie s’imposera à tous ; elle aurait le mérite, outre les avantages financiers et de mixité de la formation en alternance que nous venons de relever, de mettre sur un pied d’égalité tous les candidats, du moins dès lors qu’ils auraient trouvé un avocat acceptant de les embaucher par un contrat de travail, pour huit ans ; n’est-ce pas aussi le moyen de revivifier le compagnonnage dans une profession qui ne l’a jamais abandonné ? Et rien ne dit que le choix des employeurs ne se porterait que sur les « filles et fils d’archevêques », car huit ans, c’est long ! Et enfin, le choix pourrait aussi tenir compte de la qualité des masters 2, au sens d’une saine concurrence entre les universités : pourquoi ne pas rêver que seraient privilégiés les candidats issus des meilleures universités, au sens de celles qui auraient rénové leurs filières et auraient su associer les professionnels du droit à leurs enseignements.

B) Une Justice d’effectivité
a) L’année 2005 se termine dans l’attente d’une réforme, par voie d’ordonnance, de la saisie immobilière ; elle attend depuis 1967, elle peut donc encore attendre quelques mois, puisque le projet envisagé s’inspire des travaux d’une commission réunie il y a bientôt dix ans (en 1996-1997), sous l’autorité du signataire de ces lignes ; les professionnels du droit, à défaut des justiciables, ne sont pas pressés de voir publier une réforme qui bouleversera leurs habitudes (cf. Cahiers de l’actualité 2005-1). Néanmoins, cette réforme sera plus importante, pour l’effectivité des droits des justiciables, que celle de l’exécution provisoire qui vient d’être prise ; curieuse époque que celle de l’inversion des valeurs, au point que l’on se préoccupe plus de l’accessoire (l’exécution provisoire) que du principal (l’exécution effective sur les biens du débiteur définitivement reconnu comme tel)! Un peu comme la Justice pénale qui privilégie le traitement des affaires financières (surtout quand elles croustillent de politico-financier) sur celui des affaires de sang et d’atteintes aux personnes…
b) Le décret de procédure tant attendu est enfin tombé au Journal officiel du 29 décembre 2005, page 20350 ; daté du 28 décembre et portant le numéro 2005-1678, ce décret s’articule en dix titres (y compris les dispositions diverses (titre VIII), applicables à l’outre-mer (titre IX) et transitoires (titre X) ; le décret suit un ordre chronologique (avec cependant quelques retours en arrière) : la demande en justice (titre I), la mise en état et l’audience (titre II), les mesures d’instruction (titre III), le jugement (titre IV), les voies de recours (titre V), les notifications et significations (titre VI), la communication par voie électronique dont nous avons déjà parlé (titre VII, supra, I, B). Les dispositions nouvelles (sauf pour les nouveaux articles 748-1 à 748- 6 sur la communication par voie électronique) sont applicables au 1er mars 2006. Pour l’essentiel, cette synthèse annuelle ne permettant pas un commentaire détaillé du décret, on relèvera, sous le signe d’une volonté d’accélérer le cours de l’instance (la célérité l’emportant sur toute autre considération) :
- que les articles sur les actes introductifs d’instance (art. 54, 58) ou leur notification (665-1) sont réécrits ;
- que le répertoire général, le dossier et le registre pourront être tenus dans les greffes en utilisant un support électronique (art. 729-1, déjà cité) ;
- que le régime des notifications en droit interne est réaménagé, tant pour les notifications par la voie ordinaire (art. 665-1, 668, 670 et 670-1), que pour les significations par huissier de justice (art. 653, 655, al. 2 et 3, 656, 657, al. 1 et 658) ; d’autres modifications concernent la date de ces actes dans les collectivités d’outre-mer, en Nouvelle-calédonie et à l’étranger (art. 647-1) et les modalités de notification ou signification dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie (art. 660, 661 et 670-2), ainsi qu’à l’étranger (art. 683 à 688, entièrement réécrits par l’article 66) ;
- que les cas de jugement par défaut en cas de pluralité de parties sont revus à l’article 474 ;
- que les mesures d’instruction font l’objet de précisions (art. 153, al. 2), notamment en matière d’expertise (art. 267, 276, al. 2, 278-1, 280, 282 et 284, al. 4), dans le sens d’une accélération des diligences de l’expert ;
- que devant le TGI, les pouvoirs du juge de la mise en état (applicables devant la cour d’appel au conseiller de la mise en état) sont accrus, notamment par la possibilité d’homologuer l’accord des parties (art. 768, al. 2), de fixer un calendrier de la mise en état, mais avec l’accord des avocats et non pas seulement leur avis (art. 764, al. 3), de statuer sur les demandes formées en application de l’article 700 et non plus seulement sur les dépens (art. 772)  ; voy. aussi la nouvelle rédaction de l’article 771, al. 2 pour l’irrecevabilité des parties à soulever des exceptions et incidents après le dessaisissement du juge de la mise en état, sauf s’ils surviennent ou se révèlent postérieurement à ce dessaisissement ; et la nouvelle rédaction de l’article 780 pour le pouvoir du juge de la mise en état de sanctionner le défaut de diligence des avocats ;
- que les ordonnances du juge de la mise en état auront désormais autorité de chose jugée, au principal, si elles statuent sur des exceptions de procédure ou sur des incidents mettant fin à l’instance (art. 775) ;
- que c’est l’appel et non plus le contredit qui devra être formé pour contester une ordonnance du juge de la mise en état statuant sur l’incompétence, la litispendance ou la connexité (art. 776) ; le président de la chambre saisie pourra fixer l’affaire à bref d’appel pour tous les appels formés contre les ordonnances du juge de la mise en état visées aux 1° à 4° de l’article 776 (art. 910, al. 2) ;
- que l’article 779 permet au juge de la mise en état qui estime nécessaire d’avoir connaissance du dossier des avocats pour établir son rapport à l’audience, de leur demander de le déposer au greffe, avec les pièces produites, l’accord des parties n’étant pas requis (art. 779, al. 2) ; en outre, il peut, à la demande des avocats et après accord, le cas échéant, du ministère public, autoriser le dépôt des dossiers au greffe de la chambre, à une date qu’il fixe, quand il lui apparaît que l’affaire ne requiert pas de plaidoirie (art. 779, al. 3 ; ainsi apparaît la possibilité de se passer des plaidoiries des avocats (v. aussi, art. 786-1) ;
- qu’à l’audience qui suit une mise en état par un juge de la mise en état, il est désormais obligatoire pour ce juge (et non plus à la discrétion du président de la chambre) de présenter un rapport oral (et non plus écrit) ; exceptionnellement, comme autrefois, le rapport peut être fait par le président de la chambre ou un juge qu’il désigne (art. 785) ;
- que l’absence d’enrôlement de l’assignation devant le tribunal d’instance (art. 838, NCPC) et le tribunal de commerce (art. 857), entraînera désormais la caducité de la demande introductive d’instance, ce qui devrait remettre en cause la jurisprudence qui considérait que le défaut de remise au greffe d’une copie de l’assignation ne faisait pas échec à l’interruption de la prescription devant ces deux juridictions ;
- que des précisions sont apportées sur le contenu des requêtes devant le tribunal d’instance (art. 847-1), sur la procédure de déclaration au greffe (art. 847-2, al. 2), sur les procédures d’injonction de payer (art. 1407 et 1418) et de faire (art. 1425-3) ;
- même remarque pour l’introduction de l’instance devant les tribunaux paritaires des baux ruraux (art. 885) et les tribunaux des affaires de sécurité sociale (C. séc. soc., art. R. 142-8, R. 143-7 et 24, R. 766-35) ;
- que la technique de la passerelle est étendue au référé devant le président du tribunal de commerce (art. 873-1) ou devant celui du tribunal paritaire des baux ruraux (art. 896) ;
- que devant le conseil des prud’hommes, sont revus l’introduction de l’instance (C. trav., art. R. 145-10, 516-9 et 517-7) et les cas de jugements susceptibles ou non d’appel lorsque la valeur totale des prétentions d’aucune des parties ne dépasse le taux de compétence en dernier ressort de cette juridiction (C. trav., art. 517-4) ; en outre, l’amende civile qui frappait le plaideur qui avait formé une demande reconventionnelle reconnue mal fondée mais qui avait eu pour effet de rendre le jugement susceptible d’appel, est supprimée (C. trav., art. R. 517-5) ;
- qu’en cas d’exécution provisoire de droit ou ordonnée par le premier juge et en cas d’appel au fond, l’intimé (et lui seul) peut demander au premier président (ou au conseiller de la mise en état, s’il est saisi) de radier l’affaire du rôle lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation de l’article 521 ; le juge doit recueillir les observations des parties et il peut refuser la radiation s’il lui apparaît que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives (formule reprise de l’actuel article 1009-1, applicable devant la Cour de cassation) ou (nouveauté) que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision ; le juge autorise la réinscription de l’affaire au rôle de la cour, dès qu’il a justification de l’exécution de la décision attaquée, sauf s’il constate la péremption (art. 526 nouveau). On est donc loin des réformes envisagées par le rapport du président du TGI de Paris en septembre 2004 ou par le ministère de la justice d’un gouvernement finissant en mars 2002, lorsqu’il était proposé de généraliser l’exécution provisoire de droit à (presque) toutes les décisions de première instance ! Après les passions de ces trois dernières années, le ministère de la justice s’est donc rabattu sur la seule possibilité de bloquer tout examen du procès en appel, tant que le perdant de première instance n’aura pas exécuté la décision le condamnant. C’est tout de même un curieux retournement de situation que de voir un Ministère de la Justice défendre aujourd’hui (l’obligation d’exécuter la décision de première instance pour que l’appel soit examiné) ce qu’il disait ne pouvoir accepter hier et aller à l’encontre de la volonté de l’Assemblée nationale qui, à la suite d’un rapport d’un groupe de travail issu de sa commission des lois, avait rejeté toute généralisation de l’exécution provisoire de droit, tout au moins tant que la qualité de la justice rendue en première instance ne se serait pas améliorée. Faut-il voir dans le dépôt de ce projet le constat d’une amélioration de la justice française au-delà des belles déclarations de ses acteurs, alors que les justiciables en subissent tous les jours les effets négatifs, à commencer par ceux de l’affaire d’Outreau ? Comment peut on imposer de telles réformes même limitées à la matière civile, quand on n’est pas en mesure d’éviter les erreurs de ceux qui, au quotidien, assurent le fonctionnement de notre Justice ? Ces propos ne sont pas démagogiques ou populistes, mais le résultat d’une réflexion globale sur la Justice et non pas parcellisée (pour de plus amples développements, v. notre Précis Dalloz d’Institutions judiciaires, 7ème édition, septembre 2005) ;
- que le relevé de forclusion doit désormais être demandé dans un délai de deux mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur et non plus dans un délai « raisonnable à partir du moment où le défendeur a eu connaissance de la décision » (art. 540, al. 3) ;
- que la procédure d’introduction de l’appel est précisée (art. 901 et 933, selon qu’il y a ou n on représentation obligatoire) ;
- que le président de la chambre saisie en appel peut fixer un bref délai au cas où il est fait appel de l’une des ordonnances du juge de la mise en état citées aux 1° à 4° du nouvel article 776 (art. 910, al.2) ;
- que le déféré à la cour est étendu à toutes les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur une « exception de procédure » (et non plus seulement d’incompétence, de litispendance ou de connexité) ou « un incident mettant fin à l’instance » (art. 914) ;
- que les conditions d’introduction du pourvoi en cassation sont revues, qu’il s’agisse de la représentation obligatoire (art. 975) ou non (art. 985) ou des élections professionnelles (art. 1000) ;
- que la procédure de l’article 1009-1, reçoit quelques précisions, avec l’ajout, par parallélisme avec la nouvelle procédure de radiation prévue devant la cour d’appel en cas de non-exécution de la décision frappée de recours et exécutoire par provision, à l’article 1009-1, al. 1, que la radiation (nouveau nom donné au retrait de rôle) ne sera pas prononcée si « le demandeur est dans l’impossibilité d’exécuter la décision ;
- que la récusation d’un juge de cassation doit être présentée, non plus à la chambre à laquelle il appartient, mais à « une autre » chambre désignée par le premier président (art. 1027) ; louable souci de respect de l’impartialité de la juridiction pour statuer sur la partialité prétendue de l’un des siens ;
- qu’en cas de renvoi après cassation, l’audience solennelle ne s’impose plus ; il revient au premier président de la cour d’appel, d’office ou si les parties le demande de renvoyer à cette formation « si la nature ou la complexité de l’affaire le justifie » (C. org. jud., art. R. 212-5) ;
- qu’enfin le taux maximum de l’amende civile est portée de 1500 à 3000 euros ; en matière prud’homale, dans le cas de l’article R. 145-21, C. trav., ce taux de 3000 euros correspond à une baisse (l’ancien montant était de 3750 euros). V. les articles 77 à 79 du décret.
             D’autres dispositions n’intéressent pas le déroulement d’un procès, mais la procédure de changement de nom (art. 84 du décret) et le droit les procédures d’exécution (art. 82 et 83 du décret, respectivement pour la saisie des droits d’associés et des valeurs mobilières et pour la saisie conservatoire des créances).

C) Une Justice qui s’interroge sur les voies d’une nouvelle mise en œuvre de la responsabilité d’autrui
            Au regard des principes de la responsabilité civile, la croisée des chemins de la Justice, ce sera l’introduction ou non d’une class action, à la française ou non, voie d’accès à une meilleure indemnisation des victimes d’un préjudice collectif. Ce sera aussi une meilleure prise en compte de l’intérêt des justiciables, à travers un système d’indemnisation de leur préjudice du fait.
            1) Une class action à la française ?
L’année 2006, à défaut du respect de l’échéance fixée en 2005 par le Président de la République, nous dira si les justiciables pourront ou non, bénéficier d’une possibilité d’agir en justice en réparation d’un préjudice collectif, quand bien même leur préjudice personnel serait faible et ne justifierait pas à lui seul les frais que suppose l’introduction d’une action en justice. Sans reprendre ici tout le débat, signalons aux lecteurs que la Commission mixte Ministère de la Justice/Ministère des finances, instituée au printemps 2005 pour étudier cette question, a rendu son rapport en décembre 2005, sans parvenir à dégager une solution commune à tous ses membres (rapport qu’on trouvera en ligne sur les sites de ces deux ministères). Nous renvoyons pour le détail et la problématique constitutionnelle et conventionnelle à notre chronique au recueil Dalloz, 15 septembre 2005, page 2180, en précisant toutefois :
- que nous avons opté pour une entrée procédurale dans ce problème, car nous partons du constat que les difficultés rencontrées tiennent à l’existence de principes et de règles de pure procédure (par ex., la distinction de l’intérêt et de la qualité à agir, la règle nul ne plaide par procureur, la théorie de l’action en justice, etc..) ;
- que le système que nous proposons sous l’appellation d’une « action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse », permet d’apporter des solutions conformes à notre droit procédural (en utilisant largement des techniques classiques en procédure civile, telles que la suspension de l’instance ou l’intervention volontaire), sans aucun bouleversement juridique, donc immédiatement opérationnelles ;
- que la déclaration de responsabilité précédera la constitution du groupe puisque c’est après cette reconnaissance par le juge qu’une publicité ordonnée par le juge permettra aux intéressés de se faire connaître ; ce système évite en outre de porter atteinte à la réputation d’un opérateur économique avant que le juge n’ait statué ;
- que les associations de consommateurs ne seraient pas les seules à pouvoir agir, ce droit étant aussi conféré aux personnes agissant isolément ;
- enfin, que l’action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse ne serait par cantonné au seul droit de la consommation.
            2) Une nouvelle responsabilité pour dysfonctionnement du service public de la Justice ?
La catastrophe judiciaire qu’a constitué l’affaire d’Outreau aura au moins permis, au-delà de la souffrance des victimes de ces erreurs judiciaires à répétition d’engager, sinon une vraie réforme de notre procédure pénale, en tout cas une réflexion sur la responsabilité des gens de justice. La encore, tout a été dit et qu’ajouter d’autre sinon que le juge d’instruction devrait soit disparaître, soit être complètement transformé en arbitre (v. notre manuel de procédure pénale, écrit avec Jacques Buisson, Litec, 3ème édition, décembre 2005) et que la responsabilité des juges mérite autant d’attention, sinon plus, que celle des opérateurs économiques ? Pourquoi le nier, comme pour toute action en responsabilité, la satisfaction de la victime d’une erreur judiciaire n’est pas que financière ; elle passe aussi par la sanction disciplinaire de celui qui a commis la faute à l’origine du préjudice ; l’indemnisation est une chose, la canalisation de la vindicte en est une autre, tout aussi importante. Cela fait plus de dix ans que nous l’avons écrit dans notre précis d’institutions judiciaires (dernière édition en septembre 2005, Dalloz éditeur), avec le sentiment de prêcher dans le désert, d’apparaître comme l’affreux professeur donneur de leçons qui, partant du constat de la faillite de notre système judiciaire pénal, préconise des solutions radicales. Combien d’affaires d’Outreau faudra-t-il connaître pour qu’enfin, des idées aussi simples que celle de la sanction de la faute (procédurale) dans la préparation de l’acte de jugement soit enfin sanctionnée, comme l’est déjà la faute dans l’acte préparatoire à une opération chirurgicale ? Où est la différence ? Pourquoi opposer ici l’autorité de la chose jugée, alors que cette chose a été mal jugée ? Pourquoi parler d’atteinte à l’autorité du juge, à sa conscience, alors qu’il ne peut arguer d’une quelconque autorité dans sa négligence procédurale et son activité fautive ? Là encore nous nous permettons de renvoyer à nos écrits (La responsabilité des gens de justice, rapport de synthèse au colloque des IEJ, Nantes 1996, Revue Justices, 1997-5, p. 109. Répertoire Dalloz de procédure civile, V° Responsabilités du fait de fonctionnements défectueux du service public de la justice, mars 2005. Précis Dalloz d’institutions judiciaires, 8ème édition, septembre 2005. De l’irresponsabilité des juges d’instruction : pour combien de temps encore ? A paraître aux Mélanges Jean Pradel. V. aussi, Le droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation ? Qui cassera les arrêts de la Cour de cassation ? Contribution aux Mélanges François Terré, Dalloz/Ed. Tech./PUF, 1999) avec le sentiment de lassitude que tout a été dit et proclamé haut et fort, mais que rien n’a été fait. Puisse 2006  nous apporter la satisfaction d’une réforme en profondeur de cette question cruciale de la responsabilité des juges, bien plus importante à nos yeux que celle de la responsabilité des opérateurs économiques. Retrouvons nos valeurs et les vrais problèmes trouveront de vraies solutions.
IX - Synthèse pour 2006
les prémices d’une démocratie procédurale
             
       Le chercheur qui, dans quelques décennies, se penchera sur l’année 2006, confirmera peut-être (ou infirmera totalement !) notre perception, à la fois des interprétations des textes existants données par l’autorité judiciaire et des innovations retenues par les pouvoirs législatif et règlementaire dans le champ du procès civil et du service public de la Justice au cours de cette année, à savoir que ces solutions nouvelles se rattachent à l’idée d’une « démocratie procédurale » naissante. Elles en constituent les prémices. Certes, nous prenons le risque d’être démenti par les analyses ultérieures qui bénéficieront de plus de recul que nous n’en disposons en cette fin décembre 2006, mais nous croyons pouvoir discerner la confirmation de l’opinion que nous avions émise dès 1999[9] : nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de pure technique procédurale, non point parce que celles-ci seraient devenues inutiles, mais parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la mondialisation qui induit une attraction de la procédure civile (et, a fortiori, pénale) à la garantie des droits fondamentaux et une modélisation du droit du procès. De simple technique d’organisation du procès civil (comme la société est une technique d’organisation de l’entreprise, parmi d’autres, ainsi que nous l’avions souligné dans le Précis de Procédure civile, dès 1991)[10], la procédure est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la démocratie dans notre pays[11], mesure que la Cour européenne des droits surveille de près[12]. Ce qui vaut pour le champ du procès, vaut aussi, à un moindre degré, pour le champ du service public de la Justice, tant il est vrai que, dans ce cas, les résistances régaliennes sont plus fortes.
Si l’on veut bien admettre, avec nous, que cette démocratie procédurale repose sur ces trois piliers que constituent, ce que nous appelons, les nouveaux principes directeurs du procès (tous contentieux confondus), on peut illustrer chacun de ces principes par les évènements jurisprudentiels ou législatifs et règlementaires intervenus en 2006 dans le double champ du service public de la justice (I) et du procès civil (II) : à l’écoute, à la confiance et à la proximité qui fondent une démocratie dans le domaine du service public de la justice, répondent, comme en écho, le dialogue, la loyauté et la célérité dans celui du procès. Ce sont les fondements d’une démocratie plus participative que représentative ou d’opinion, sans que cela implique de notre part une quelconque prise de position sur les programmes des uns et des autres en vue de l’élection présidentielle qui ponctuera l’année 2007 !
i – la démocratie procédurale dans le service public de la justice
Les trois principes de cette démocratie sont, dans le domaine du service public de la justice, l’écoute (qui favorise le dialogue), la confiance (qui fonde la loyauté) et la proximité (qui permet la célérité) ; on les retrouve ensemble (A) ou séparément (B et C). On ne fera que signaler ici les textes, étudiés par ailleurs dans ce cahier, sur les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires (décret n° 2006-1709 du 23 décembre, publié au JO du 29 décembre, tant attendu, la loi étant du 26 juillet 2005), sur les avoués (décret n° 2006-1736 du 23 décembre 2006, sur le statut des avoués et deux arrêtés du 23 décembre 2006 en application des articles 4-5 et 4-6 du décret n° 45-0118 du 19 décembre 1945, relatifs à l’examen d’aptitude, l’ensemble au JO du 30 décembre 2006).

a) ecoute, confiance et proximité
Un même texte peut couvrir plus d’un seul des principes qui fondent une démocratie procédurale :
a) Ainsi de l’importante réforme de la saisie immobilière et de la procédure de distribution du prix : l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 et le décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006), appliquent, à des degrés divers, l’ensemble de ces principes ; le lecteur trouvera un aperçu du contenu de ces deux importantes réformes (applicables au 1er janvier 2007) dans les Cahiers de l’actualité 2006-3, p. 12 et s. et un commentaire plus fourni dans les Cahiers de l’actualité 2006-5, p. 3 à 20, par Anne Raymond-Grèze). On notera que le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 (mais publié au JO du 31 décembre, ce qui, pour une réforme applicable au 1er janvier 2007, n’est guère propice à la confiance des justiciables en la place Vendôme !), apporte quelques retouches au décret du 27 juillet 2006, dans son article 9 auquel on renvoie ainsi qu’au commentaire dans ce cahier. Cette réforme, largement inspirée des travaux du groupe de travail que nous avions présidé à la Chancellerie entre juillet 1996 et le printemps 1997 (comme quoi tout vient à point pour qui sait attendre dix ans), ne remet pas en cause le rôle des avocats dans ce type de procédure et n’instaure donc pas une saisie « notarialisée », mais rapproche les parties concernées du juge, en l’occurrence le juge de l’exécution, paradoxalement en favorisant la vente amiable, à base de dialogue avec le juge et le créancier et de confiance dans la capacité du débiteur à s’investir dans cette démarche. Seul l’avenir nous dira si les espoirs mis dans cette nouvelle approche du droit de l’exécution immobilière sont confortés par la pratique.
            b) De même encore pour l’ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006 qui remplace les titres I à IX de la partie législative du code de l’organisation judiciaire par cinq nouveaux livres ; la partie réglementaire n’a pas encore été publiée à ce jour, ce qui est d’autant plus ennuyeux que la partie législative étant issue d’une ordonnance prise par voie d’habilitation législative donnée au Gouvernement (sur le fondement de l’article 38 de la Constitution), elle n’a que la valeur d’un acte administratif (selon une jurisprudence du Conseil d’Etat), tant que la loi de validation de l’ordonnance n’est pas promulguée. Nous voilà pourvu d’un code de l’organisation judiciaire :
  • entièrement renuméroté, avec, parfois, des formulations non identiques aux anciennes ;
  •  « dépouillé » de ses articles concernant les juridictions d’exception puisqu’ils sont « rapatriés » vers les codes de droit substantiel qui les concernent ; ainsi, les tribunaux de commerce sont exportés vers le code de commerce, les conseils de prud’hommes vers le code du travail, etc.. ; cette pratique est contestable, non pas tant parce que certains de ces codes ne disposent pas encore de partie réglementaire, ce qui obligera à conserver les anciens articles de la partie réglementaire du code de l’organisation judiciaire, mais parce qu’à vouloir ventiler les juridictions d’exception entre les différents codes de droit substantiel, on porte atteinte à l’unité procédurale qui les transcende ; on affiche ainsi une diversité au-delà de la spécificité de chacune, alors même que la nouvelle partie législative débute par un corps d’articles qui constituent autant de principes directeurs de l’organisation judiciaire et que les principes directeurs constitueront demain, avec la réforme de la responsabilité des magistrats, le fondement d’une action disciplinaire (v. infra) ;
  •  parfois maintenu en vigueur dans certaines de ses dispositions (à titre temporaire, voire à titre définitif) ;
  •  et sans table de concordance, tant l’exercice de son établissement relevait de la mission impossible.
Bref, un travail bâclé qui risque de dérouter les praticiens et qui est l’antinomie de l’écoute des professionnels du droit que doit pratiquer la Chancellerie et de la confiance qu’elle doit inspirer aux justiciables par l’élaboration de textes à la lisibilité parfaite.
Précisons enfin que ce code ne constitue pas un nouveau code de l’organisation judiciaire, comme le fut, en son temps, le Nouveau code de procédure civile ; formellement, l’enveloppe, le contenant, restent les mêmes ; seul le contenu change.

b) la confiance dans le service public de la justice par la loyauté de ses serviteurs
            C’est par une réforme de la responsabilité disciplinaire des magistrats professionnels que le Gouvernement a entendu répondre aux interrogations posées par l’effroyable affaire d’Outreau. Après bien des hésitations, politiques (le Garde des Sceaux annonçant publiquement un dimanche après-midi, devant un syndicat de magistrats réunis en congrès, que cette question ne figure pas dans son projet, mais le Premier ministre affirmant le contraire le soir même, sans d’ailleurs que le ministre de la Justice ne se sente désavoué….), juridiques (le Conseil d’Etat ayant émis des réserve sur la projet gouvernemental, au regard de l’indépendance des juges), un texte a été voté par l’Assemblée nationale à la mi-décembre 2006, le vote par le Sénat devant intervenir en janvier (le projet ayant été soumis à la procédure d’urgence, il ne comprendra qu’une seule lecture). En l’état actuel du texte, la responsabilité disciplinaire des juges pourrait être engagée pour « la violation grave et intentionnelle d’une ou plusieurs règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commises dans le cadre d’une instance close par une définition de justice devenue définitive ». Voilà les règles de procédure élevées au rang des fondements à un manquement, par un magistrat, de ses devoirs professionnels ; sur le principe – et quoi qu’on dise dans les milieux concernés – cela ne nous choque pas ; après tout, la loyauté est retenue dans le droit disciplinaire de nombreuses professions, notamment judiciaires et, à consulter sur le site du Conseil supérieur de la magistrature, le recueil des décisions intervenues à l’encontre de magistrats, on peut constater que la rubrique « loyauté », occupe déjà une bonne place. Le garde fou que constitue la double exigence d’une violation « grave » et « intentionnelle », devrait rassurer ceux qui craindraient, à juste titre, que cette voie ne soit utiliser abusivement par des plaideurs mécontents. Faut-il rappeler enfin, que c’est sur le fondement d’une violation du principe du contradictoire par un juge que la Cour de cassation belge a retenu la responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice ? Que la Cour de Justice des Communautés européennes retient, elle, la violation du droit communautaire par le juge national pour fonder une action en responsabilité ? (sur ces jurisprudences, v. notre rubrique sur les responsabilités engagées pour dysfonctionnement du service public de la Justice, dans le Répertoire de procédure civile). 

        c) la proximite
            On débordera un peu de 2006 sur 2007 pour signaler que les juges de proximité font l’objet :
-          d’une part, d’un décret n° 2007-17 du 4 janvier 2007 (intégré au décret n° 93-21 du 7 janvier 1993) sur leur formation initiale, qui est allongée : 12 jours de formation organisée par l’Ecole nationale de la magistrature et 25 jours de présence effective en juridiction sur une période de six mois) et leur obligation de formation continue (cinq jours par an, obligatoire les trois premières années).
-          D’autre part, d’un arrêté du 4 janvier 2007, qui réglemente l’organisation du service de ces juges et abroge l’arrêté du 15 mai 2003.

ii – la démocratie procédurale dans le procès civil
            Au-delà du procès, on signalera le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 qui, pour l’essentiel, réglemente la procédure en matière successorale et de changement de régime matrimonial (articles 1 à 3). Le même décret transfère la procédure de prise à partie de l’ancien code de procédure civile au Nouveau code de procédure civile (art. 366-1 à 366-9).
 a) le principe de dialogue
1°) En jurisprudence
 Au titre du principe de dialogue, plusieurs arrêts (parmi de très nombreuses décisions) sont significatifs de l’importance qu’il a prise en jurisprudence. Ainsi, par ordre chronologique, la deuxième chambre civile a-t-elle successivement jugé :
1) le 4 janvier 2006 (pourvoi n° 04-14.080), que si le juge saisi d’une demande de taxe des dépens exposés devant une cour d’appel, décide de tenir une audience (alors que les articles 708 et 709, NCPC, ne lui en font point obligation), il doit convoquer les parties, s’assurer du caractère effectif et régulier des convocations qui leur sont adressées et organiser, au cours de cette audience, un débat contradictoire permettant à chacune de prendre connaissance et de discuter de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influer sa décision ; en somme, si le législateur n’a pas prévu un dialogue obligatoire, dès lors que celui-ci est provoqué par le juge, il doit être complet et correspondre à vrai dialogue.
2) Le 11 janvier 2006, par trois arrêts rendus le même jour (pourvois n° 03-17.381, n° 03-18.577 et n° 04-11.129), que si les parties ont fait figurer dans le bordereau de pièces annexé aux dernières conclusions (et dont la communication n’a pas été contestée) des pièces qui sont ensuite invoquées à l’appui d’une demande mais qui ne figurent pas au dossier du juge, ce dernier doit inviter les parties à s’expliquer sur cette absence. Jurisprudence confirmée dans l’arrêt de la première chambre civile du 14 novembre 2006 (pourvoi n° 05-12.102).
3) Le 14 septembre 2006 (pourvoi n° 04-20.524), que le juge (d’instance délégué dans les fonctions de juge de proximité) qui statue avec des motifs inintelligibles et qui écarte par une pétition de principe certains éléments de preuve produits par le défendeur, rompt le principe d’égalité des armes ; or, ce principe, ainsi qu’il vient d’être démontré dans une thèse soutenue à l’université de Montpellier 1 (Gaëlle Betrom, Le principe d’égalité des armes au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, direction Frédéric Sudre, 8 décembre 2006) fonde un principe de dialogue pour, peut-être, conduire à un nouveau type de procès, le procès dialogique (c’est en tout cas la thèse de la candidate).
4) Le 21 septembre 2006, par douze arrêts, que le principe du dialogue devait être respecté dans la procédure de réinscription des experts judiciaires (motivation de la décision de refus, respect du principe de la contradiction).
2°) En législation
            L’idée de dialogue est très présente dans le projet de loi qui vise à introduire en droit français un recours collectif en défense des intérêts des consommateurs qui subissent un préjudice de masse. L’an dernier, dans cette synthèse annuelle, nous avions présenté les circonstances qui avaient conduit le Gouvernement à mettre sur pied une Commission de réflexion et de propositions sur ce sujet ; si la Commission n’a pas pu aboutir à un projet unique, faisant l’unanimité de ses membres, elle a permis au moins d’entendre tous les points de vue. Et de ces auditions est sortie l’idée de recourir au maximum aux mécanismes procéduraux existants, ainsi que nous l’avions suggéré devant la Commission (v. le texte de notre intervention au Recueil Dalloz du 15 septembre 2005, p. 2180).
            Dans un discours du 12 septembre 2006, la Garde des Sceaux a présenté le projet du gouvernement en partant des conclusions du groupe de travail qui avait remis son rapport le 16 décembre 2005. Ecartant la voie d’une réforme des actions collectives que les associations de consommateurs agréées peuvent exercer, ainsi que celle de la création d’une action de groupe inspirée des systèmes des Etats-Unis et du Québec, il privilégie une troisième voie, celle dans laquelle le groupe de consommateurs n’est constitué que par les personnes ayant expressément entendu se joindre à l’action. C’est en partie, mais en partie seulement (avec des ambitions plus modestes quant à la nature et au montant du litige, ainsi que quant à l’origine du préjudice), le système, d’essence procédurale, que nous avions présenté à la Commission :
            1) La nouvelle procédure sera confiée à des tribunaux de grande instance spécialement désignés.
- Dans une première phase (celle de l’amorçage du dialogue), initiée nécessairement par une association agréée de consommateurs et représentative au niveau national (et non pas par n’importe quel consommateur), il s’agit de favoriser les conditions du dialogue : le juge se borne à se prononcer sur la responsabilité du professionnel ; pas question d’introduire ici la certification (anglo-saxonne) de l’action par le juge, d’où, en contrepartie, pour réguler l’exercice de l’action, les garanties exigées des associations. L’introduction de cette action paralyse l’action pénale et inverse ainsi à la règle « le criminel tient le civil en l’état ». La représentation par avocat sera obligatoire à ce stade de la procédure. Le juge se prononce alors sur la responsabilité du professionnel, mais sans fixer le préjudice subi par les consommateurs, qui ne sont pas parties à l’action. Si le juge déclare le professionnel responsable, la décision fait l’objet d’une publicité selon les modalités fixées par le jugement (ce que nous avions préconisé avec paiement des frais au moyen d’une provision payée par le professionnel reconnu responsable, ce que le projet ne précise pas). Le juge surseoit alors à statuer sur la liquidation des préjudices individuels subis par les consommateurs pour permettre à la deuxième phase de se dérouler : il impartit un délai aux consommateurs pour adresser au professionnel concerné une demande d’indemnisation et fixe la date à laquelle l’affaire sera rappelée devant lui.
- Dans un deuxième temps, le dialogue se noue : en effet, chaque consommateur, ainsi informé, peut présenter une demande d’indemnité au professionnel qui sera tenu de faire une offre accompagnée d’un chèque ; en cas d’acceptation de l’offre, l’affaire est terminée.
- Dans un troisième temps, celui de la sanction du non-dialogue, à l’expiration du délai de sursis à statuer, si certaines demandes d’indemnisation n’ont pas été satisfaites, le juge reprend l’affaire, mais statue selon une procédure simplifiée et sans représentation obligatoire ; il pourra décider de la comparution des parties. Aux cas où aucune offre n’aurait été faite ou bien encore si elle est jugée manifestement insuffisante, le juge pourra condamner le professionnel, au profit du consommateur, au paiement d’une pénalité égale à cinquante pour cent de l’indemnité allouée.
2) Le champ de l’action est triplement limité
- Quant à la nature du litige : ne sont concernés que les litiges relevant du droit de la consommation ; en sont exclus ceux qui relèvent du droit du travail ou les atteintes au droit de l’environnement. On reste sceptique sur la capacité à distinguer les litiges relevant strictement du droit de la consommation !
- Quant à l’origine et la nature du préjudice : seuls les préjudices d’origine contractuelle pourront faire l’objet de cette procédure ; sont exclus, les préjudices d’origine délictuelle ou quasi-délictuelle. En outre, seuls les préjudices matériels et les troubles de jouissance des consommateurs nés d’un manquement d’un professionnel à ses obligations (contractuelles) pourront être réparés selon cette procédure. Sont exclus les préjudices corporels, ce qui, ipso facto, écarte toute possibilité de recourir à cette procédure pour les préjudices nés d’un accident d’avion.
- Enfin, quant au montant du litige, il convient de souligner que le projet cantonne la procédure aux litiges dont le montant du préjudice individuel ne dépasse pas 2000 euros.
            Tout ceci est bien modeste et donnera certainement lieu à des amendements au Parlement, tant le projet est perfectible. 
b) le principe de loyauté
- Bien qu’il ait été rendu fin 2005, on ne peut pas ne pas citer un arrêt rendu en chambre mixte par la Cour de cassation, le 16 décembre 2005 (pourvoi n° 03-12.206), qui décide que la force de la chose jugée attachée à une décision judiciaire, dès son prononcé, ne peut avoir pour effet de priver une partie d’un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée ; la loyauté des échanges renforce l’esprit « dialogique » du procès.
- Le 11 janvier 2006 (pourvoi n° 04-14.305), la deuxième chambre civile parle expressément de la loyauté des débats : « le juge ne peut écarter des débats des conclusions et pièces communiquées par les parties sans préciser les circonstances particulières qui ont empêché de respecter le principe de la contradiction ou caractériser un comportement de leur part contraire à la loyauté des débats ». Cet arrêt confirme que la Cour de cassation souhaite intégrer le principe de loyauté dans l’ordonnancement juridique (v. déjà l’important arrêt de la première chambre civile du 7 juin 2005 dans la synthèse de l’an dernier) et apporte ainsi un démenti à la doctrine qui n’entend pas le reconnaître, alors qu’il émerge de toutes parts (v. sur ce point nos remarques au Précis de procédure civile, 28ème éd., par Serge Guinchard et Frédérique Ferrand, Dalloz éd., oct. 2006, n° 641, c, L’émergence de nouveaux principes directeurs).
- Le 11 juillet 2006 (pourvoi n° 03-20.802), la première chambre civile a jugé, en matière d’arbitrage, que la renonciation d’une partie à soulever une irrégularité (en l’espèce quant à la l’existence ou la validité de la clause compromissoire), doit s’apprécier au vu de son comportement au cours de la procédure d’arbitrage ; et elle le fait au nom de la règle de l’estoppel, règle qui sanctionne une obligation de loyauté procédurale, par le moyen d’une fin de non-recevoir, apportant ainsi un nouveau démenti à ceux qui refusent encore de voir en la loyauté un principe directeur (sur ce point, v. Précis de procédure civile, op. cit., n° 179). Elle confirme ainsi sa jurisprudence inaugurée le 5 juillet 2005 (sur laquelle v. notre synthèse 2005).
c) le principe de célérité
            a) En jurisprudence, on signalera, au titre de ce principe :
1) L’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 7 juillet 2006 (pourvoi n° 04-10.672). Revenant sur une jurisprudence issue d’une autre assemblée plénière (3 juin 2004), la Cour de cassation juge désormais que « le changement de fondement juridique ne permet pas de soumettre à un nouveau juge un litige déjà tranché par les juges du fond ». Concrètement, cela signifie que si le demandeur s’abstient, volontairement ou non, de soulever en première instance, un fondement juridique différent (et complémentaire) de celui qui a servi de fondement à sa demande, il ne peut plus ensuite, au niveau de l’instance d’appel, invoquer cet autre fondement : il y a identité de cause des deux demandes. Si la célérité y gagne, on regrettera tout de même que le juge ne se voit pas rappeler son obligation de dire le droit (cf. art. 12, NCPC), donc de relever d’office cet autre fondement ; une interprétation dynamique des pouvoirs du juge aurait permis de concilier souci de célérité et besoin de donner aux procès la solution juridiquement la plus adéquate. L’élargissement de la notion de cause est considérable ; celle-ci couvre désormais des demandes ayant le même but, mais dont le fondement juridique est différent.
2) L’arrêt de la deuxième chambre civile qui, énonce « qu’aucun texte ne fixant un délai de comparution devant le juge des référés, les dispositions des articles 643 à 645 du Nouveau code de procédure civile, qui ont pour objet d’augmenter un tel délai, ne sont pas applicables » (Civ. 2ème, 9 nov. 2006, n° 06-10.714, commentaire dans ce cahier V° Référé civil) ; il s’agit des délai dits de distance. 
3) En contrepoint, on signalera l’avis de la Cour de cassation sur les fins de non-recevoir qui ne constituent pas des incidents mettant fin à l’instance visés à l’article 771, al. 2, NCPC et qui, de ce fait, n’entrent pas dans la liste des incidents qui relèvent de la compétence du juge de la mise en état. Une vision plus dynamique du procès civil aurait permis, sans trop de dangers pour les parties et la conduite des procès, que le juge puisse en connaître, accélérant ainsi le travail de préparation de l’affaire au fond et dégageant la route des juges du fond de tous les incidents qu’une procédure ne manque pas da faire apparaître. La doctrine était divisée : par exemple, dans le même ouvrage collectif, sous notre direction[13], les opinions opposées de Jean Beauchard (en faveur de la thèse qui voit dans les fins de non-recevoir des incidents mettant fin à l’instance[14]) et celle de Jean Paul Lacroix-Andrivet (qui anticipait sur l’avis de la Cour de cassation[15]) ; la divergence d’opinion, sans être recherchée dans l’ouvrage, n’en est pas moins maintenue dès lors qu’elle participe au débat doctrinal et permet au lecteur de se forger une opinion. 
            b) En législation, on trouvera de nombreuses illustrations de ce principe de célérité. Ainsi, le décret n° 2005- 1678 du 28 décembre 2005 portant réforme de la procédure civile, applicable depuis le 1er mars 2006 (mais dont il ne sera point question ici, car il relève de la synthèse et des analyses de l’an dernier auxquelles nous renvoyons) concrétise une réponse au besoin de célérité, d’une part par la reconnaissance de pouvoirs accrus au juge de la mise en état dans l’instruction du procès civil et, d’autre part, par les nouvelles dispositions sur la recevabilité de l’appel si le jugement de première instance assorti de l’exécution provisoire de droit ou ordonnée par le juge n’a pas été exécuté.

X - Synthèse pour 2007
L’ancien et le nouveau codes de procédure civile sont morts, vive le code de procédure civile !


L’année 2007 ne restera pas dans les annales de la Justice et du droit procédural, comme une année phare de ces disciplines, que ce soit au niveau de l’activité législative ou de la jurisprudence de la Cour de cassation, même si quelques arrêts d’Assemblée plénière ou en Chambre mixte doivent être ici rappelés dans leur solution de principe !

 i – activité législative nationale

            Elle concerne, à titre principal, les codes de procédures eux-mêmes et les magistrats, à titre subsidiaire, la procédure civile elle-même.



A) L’activité législative restera marquée par le constat de la suppression, in fine de l’année civile, du code de procédure civile de 1806, que l’on avait coutume de désigner, depuis l’entrée en vigueur du Nouveau code de procédure civile, sous la dénomination « d’Ancien code de procédure civile ». Il aura donc vécu 200 ans pour voir ses derniers articles (505 et 506, sur la prise à partie et le déni de justice) abrogés par la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 (article 26). La disparition officielle (art. 26-II) se fait par le constat que le contenu de ces deux articles est transposé, sans modifications substantielles de fond (v. infra), à l’article L. 141-3 du code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 8 juin 2006. En conséquence, le Nouveau code de procédure civile devient officiellement le Code de procédure civile (CPC) (art. 26-III) et la loi ajoute que dans tous les textes en vigueur, l’expression Nouveau code de procédure civile est remplacée par celle de Code de procédure civile (art. 26-IV).



B) Concernant les gens de justice et plus précisément les juges et magistrats, deux textes retiennent l’attention :


a) d’abord, la loi organique n° 2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats ; cette loi fait suite à la malheureuse affaire d’Outreau, mais, s’agissant de la responsabilité des magistrats, son contenu a été en grande partie vidé par le Conseil constitutionnel, qui a invalidé les dispositions qui permettaient de mettre en cause leur responsabilité disciplinaire, sans passer par le constat judiciaire préalable d’une faute du juge dont la responsabilité disciplinaire était recherchée par un particulier devant le Conseil supérieur de la magistrature, selon un mécanisme qui s’apparentait d’ailleurs à une véritable « usine à gaz » ! Sur cette question de la responsabilité disciplinaire, V. notre rubrique d’avril 2007 au Répertoire de procédure civile, V° Responsabilités pour fonctionnement défectueux du service public de la Justice, n° 60-64 et, sur les autres aspects (recrutement et formation), V. Cahiers de l’actualité, 2007-3, p. 19.



b) Ensuite, la loi précitée du 20 décembre 2007 qui, pour les juges non professionnels et eux seulement (mais cela comprend les juges de proximité), transpose, dans le code de l’organisation judiciaire, les dispositions des anciens articles 505 et 506 du code de 1806 ; elle réalise ainsi, à la veille de l’hiver, ce que le législateur avait essayé de faire au printemps dans la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 sur la protection juridique des majeurs ; mais la tentative avait échoué, non pour des raisons de fond, mais pour des raisons de forme, le Conseil constitutionnel ayant estimé, à juste titre, que ces dispositions n’avaient pas grand chose à voir avec une loi visant à réformer la protection des majeurs (décision n° 2007-552 DC du 1er mars 2007. – V. notre rubrique au Répertoire de procédure civile, V° Responsabilités pour fonctionnement défectueux du service public de la Justice, n° 65). S’agissant des juges « autres que les magistrats du corps judiciaire », le nouvel article L. 141-2, COJ, renvoie aux « lois spéciales » ou, à défaut, « à la prise à partie » ; le dernier alinéa de cet article L. 141-2 (sur la garantie par l’Etat des dommages causés par les fautes personnelles des juges et autres magistrats, sauf un recours éventuel contre eux) est abrogé, mais on va en retrouver la substance, pour les magistrats professionnels dans l’article 11-1 de l’ordonnance statutaire n° 58-1270 du 22 décembre 1958 et, pour les juges non professionnels, dans le nouvel article L. 141-3, COJ. En effet, la loi du 20 décembre 2007 crée un article L. 141-3 pour y donner les cas de prise à partie, la définition du déni de justice et le régime de responsabilité de l’Etat pour faute personnelle des juges non professionnels. Pour l’essentiel, le fond est identique à celui contenu dans les anciens articles 505 et 506. Les cas de prise à partie sont, comme autrefois, le dol, la fraude, la concussion (pas de changement pour ces trois cas) et la faute lourde (que le législateur de 2007 ne qualifie plus de « professionnelle ») « commis » (et non plus « qu’on prétendrait avoir été commis ») soit dans le cours de l’instruction, soit lors des jugements (sans changement sur ce point). La loi ne vise plus la possibilité de prendre à partie un juge lorsqu’elle « est expressément prévue par la loi » (ancien article 505-2°), ou lorsque « la loi les déclare responsables, à peine de dommages et intérêts ». En revanche, le déni de justice demeure et le nouvel article L. 141-3 en donne une définition proche de l’ancienne : « il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d’être jugées ».



C) Une seule loi a concerné directement la procédure civile



Dans son article 2-I, la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 sur la simplification du droit, autorise la représentation d’une partie par son concubin ou la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité, devant les tribunaux d’instance, les juridictions de proximité ou en matière prud’homale ; une loi était nécessaire et non pas simplement une modification du code de procédure civile, car l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, pose, en son alinéa premier, le principe du monopole des avocats pour « assister et représenter les parties, postuler et plaider devant toutes les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit » (sous la seule réserve, bien évidemment, des dispositions propres aux avocats aux Conseils et aux avoués des cours d’appel). Et l’alinéa 2 de ce même article 4 ne prévoit une exception à ce principe très large que pour les « dispositions législatives ou réglementaires spéciales en vigueur à la date de publication de la présente loi » ; dès lors toute exception supplémentaire apportée à la liste des personnes autorisées, par dérogation à l’article 4 de la loi de 1971, à assister et à représenter les parties devant les juridictions d’exception, doit être de nature législative ; le lecteur se souvient certainement à cet égard de la décision du Conseil d’Etat du 6 avril 2001 qui avait annulé les dispositions du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 permettant précisément au concubin de représenter une partie en cause devant le tribunal d’instance et le juge de l’exécution. C’est pourquoi, la loi du 20 décembre 2007 prend soin de viser l’article 4 de la loi de 1971 et c’est pourquoi aussi, l’article 2-II complète dans le même sens (concubin et pacsé) l’article 83 de la loi n° 90-85 du 23 janvier 1990 pour l’assistance et la représentation devant les tribunaux paritaires de baux ruraux et l’article 26-III complète l’article L. 144-3 du code de la sécurité sociale pour les tribunaux des affaires de sécurité sociale.

Par ailleurs, on citera simplement, pour leurs dispositions procédurales :

- la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 sur le surendettement des particuliers, dont l’article 71 prévoit que désormais la saisine du juge aux fins de rétablissement personnel emporte suspension des voies d’exécution, y compris d’expulsion du logement du débiteur, jusqu’au jugement d’ouverture (C. consom., art. L. 333-3-1) ;

- la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007, dont l’article 9 renforce le droit de l’enfant d’être entendu en justice (C. civ., art. 388-1, v. Cahiers de l’actualité 2007-3, p. 16) ;

- la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 qui réforme la protection juridique des majeurs selon son intitulé officiel, mais qui touche aussi à la tutelle des mineurs et aux mineurs (v. Cahiers de l’actualité 2007-3, p. 17). 

II - L’ACTIVITE NORMATIVE COMMUNAUTAIRE


            Les règlements européens prennent une place croissante dans l’élaboration du droit procédural français, certes, pour l’instant, pour les litiges transfrontaliers, mais – en attendant des règlements applicables sans cette exigence – par capillarité sur le droit national (v. les importants développements de Frédérique Ferrand dans le précis Dalloz de procédure civile, 28ème édition, octobre 2006). On citera ici :

- le règlement n° 861-2007 du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges transfrontaliers (demande ne dépassant pas 2000 euros) en matière civile et commerciale, à compter du 1er janvier 2009 ; la célérité est assurée par une procédure faisant largement appel à des formulaires standardisés (V. Cahiers de l’actualité 2007-5, p. 5) ;

- le règlement n° 1393/2007 du 13 novembre 2007 et relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale ; c’est un texte qui améliore le système mis en place par le règlement n° 1348/2000 du 29 mai 2000 qu’il abroge (sur ce règlement, v. S. Guinchard et Fr. Ferrand, Procédure civile, Dalloz, 28ème édition, 2006, n° 792)  ;

            Par ailleurs, le Conseil a adopté le 15 octobre dernier une décision n° 2007/712, relative à la signature, au nom de la Communauté, de la nouvelle Convention de Lugano paraphée à Bruxelles le 28 mars 2007.

III- L’ACTIVITE DE LA COUR DE CASSATION

            Signe des temps, c’est de la jurisprudence, plus précisément de la Cour de cassation, que seront venus les apports les plus intéressants au droit procédural ; que l’on soit d’accord ou non avec le fond des décisions rendues, force est de constater que la Cour de cassation a su, en quelques années, non seulement réduire les délais d’examen des pourvois, pour être en harmonie avec les exigences européennes de « délai raisonnable », mais aussi multiplier les hypothèses d’assemblée plénière ou de chambre mixte, afin de réduire les divergences de jurisprudence avec les juges du fond ou entre les chambres elles-mêmes et d’assurer ainsi une meilleure sécurité juridique.
A) A ce titre, on signalera simplement ici, sans les commenter tous, quatre arrêts d’assemblée plénière :
- celui du 12 janvier : l’action des avoués en recouvrement des dépens se prescrit par deux ans à compter du jugement des procès, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon qu’elle est exercée par l’avoué à l’encontre de son mandant ou à l’encontre de l’adversaire condamné aux dépens (V. Cahiers de l’actualité 2007-2, p. 3) ;
- celui du 13 avril (pourvoi n° 06-19.533) : un avocat aux Conseils qui a informé les avocats et avoués du client que la signification à partie manquait au dossier pour former régulièrement un pourvoi n’a pas d’autres initiatives à prendre à l’égard des clients assistés de professionnels du droit et de la procédure ; aucun pourvoi ne pourra être formé sans la remise de l’acte de signification à l’avocat aux conseils (V. Cahiers de l’actualité 2007-4, p. 9) ;
- celui du 23 novembre (pourvois n° 05-17.975 et 06-10.039) : l’intérêt de l’arrêt n’est pas tellement dans le fond du procès, mais dans la recevabilité du pourvoi ; le fond ne fait que confirmer une jurisprudence établie, à savoir que l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder. En revanche, sur le plan procédural, la Cour admet la recevabilité d’un second pourvoi, formé, contre le même arrêt, par la même partie agissant en la même qualité, postérieurement à un premier pourvoi jugé irrecevable pour avoir été formé sans que l’arrêt ait été préalablement notifié ; on ne peut véritablement y voir une entorse à la règle posée à l’article 621, CPC  (ex-NCPC), car au moment où le second pourvoi a été formé, aucune décision n’avait encore été rendue sur le premier. Mais la Cour de cassation avait élargi le champ d’application de l’article 621, au point de déclarer irrecevable le pourvoi formé après un premier, sans qu’aucune décision n’ai encore été rendue par la Cour de cassation dans l’affaire en question ; c’est la règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut ». Suivant la pratique adoptée par la suite par toutes les chambres civiles, l’Assemblée plénière, au nom du droit effectif au juge de cassation, abandonne la règle, constate qu’il n’a pas été jugé sur le premier pourvoi et tranche au fond la question qui lui était posée en matière d’expertise biologique, admettant ainsi implicitement mais nécessairement que le second pourvoi était recevable (cf. note P. Chauvin, JCP 2007, II, 10204) ;
- enfin, celui du 21 décembre (pourvoi n° 06-11.343) : c’est un arrêt capital dans la conception que l’on peut avoir de l’office du juge et nul doute qu’il sera largement commenté par la doctrine. Cet arrêt considère en effet, unifiant ainsi la jurisprudence divergente et erratique des chambres civiles, que « si parmi les principes directeurs du procès, l’article 12, NCPC, oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes » ; et, en l’espèce, la cour d’appel est approuvée, après avoir constaté qu’elle était saisie d’une demande fondée sur l’existence d’un vice caché dont la preuve n’était pas rapportée, de ne pas avoir recherché si cette action pouvait être fondée sur un manquement du vendeur à son obligation de délivrance d’un véhicule conforme aux stipulations contractuelles. Cet arrêt nous met mal à l’aise : si le juge n’a plus l’obligation, mais la seule faculté de dire le droit, quel est le sens de l’accès affectif des justiciables à la justice, au règlement de leurs litiges conformément au droit en vigueur ? Quel est désormais la portée de l’utilisation de l’indicatif présent dans tous les textes de loi ? Jusqu’à présent on apprenait et on enseignait que la clarté de la règle textuelle reposait sur cette idée que l’indicatif présent vaut impératif, à l’image de la célèbre apostrophe du Général de Gaulle aux officiers français ( « j’invite… ») ; il va falloir revoir nos classiques ! Certes, on objectera qu’en cas de représentation obligatoire, l’avocat, l’avoué, doivent prévoir tous les fondements juridiques possibles à la demande de leur client ; en cas d’oubli les assurances de ces professionnels du droit joueront leur rôle de garant ; mais est-ce très sain de reporter sur la mutualité des assurés, ce qu’un rôle un plus actif du juge aurait permis d’éviter ? Et quid, des cas de procès sans représentation obligatoire ? Certes, les parties doivent fonder leurs demandes, mais on sait que dans ce type de procédures, une jurisprudence de la Cour de cassation fait obligation au juge de dire le droit si aucun fondement juridique n’a été invoqué ; alors, effet pervers de la décision du 21 décembre, il vaudra mieux ne donner au juge que les faits et surtout ne présenter aucun fondement ! Et quid encore de l’égalité entre les justiciables ? Car si le juge n’a pas l’obligation de trouver le bon fondement juridique, il ne lui est pas interdit de le faire ! On risque d’avoir des situations où le juge, par goût de la recherche juridique, par souci de ne pas tomber dans le déni de justice ou pour toute autre raison, cherchera le droit au-delà du « panier » apporté par les parties ; et d’autres, où cela ne sera pas le cas. Est-ce bien « équitable » ? Enfin, pour mieux mesurer nos inquiétudes, il faut rapprocher cette solution de celle donnée par une autre Assemblée plénière le 7 juillet 2006 en matière d’autorité de la chose jugée et qui consacre l’autorité de la chose qui n’a pas été jugée, puisque les parties ont désormais l’obligation de présenter dès leur première action, l’ensemble de leurs moyens de nature à fonder leur demande (ou, en défense, à justifier le rejet) ; inspirée par un principe de loyauté que traduit l’exigence d’une concentration des moyens, cette solution n’est viable qu’à la double condition de maintenir la voie d’appel comme une voie d’achèvement du procès (afin de permettre aux parties de faire état, en appel, d’autres moyens de droit) et d’imposer au juge, notamment au juge d’appel, de dire le droit au-delà de celui invoqué par les parties, donc de rechercher la règle de droit adéquate, dès lors que les faits présentés par les parties le permettent. A défaut, il y aura déni de justice et la France encourra une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme pour non accès effectif au droit et à la justice, la seconde n’existant que par l’application exacte et effective de la règle adéquate.
B) En Chambre mixte, la Cour de cassation a précisé, le 6 avril 2007 (pourvoi n° 05-16.375 et 06-16.914), qu’en vertu des articles 455, alinéa 1er et 954,al. 2, NCPC, si le juge n’expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, alors qu’il ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, il doit viser celles-ci avec l’indication de leur date.
            Surtout, le 21 décembre (pourvoi n° 06-12.769), en complément de l’arrêt de l’Assemblée plénière du même jour (v. supra), elle a requalifié en donation une opération d’assurance vie, montrant ainsi qu’elle n’était pas insensible à ce que le « bon » droit soit dit.
C) Au niveau des avis rendus par la Cour de cassation, on signalera ceux du 2 avril par lesquels elle affirme l’impossibilité de déférer à la cour d’appel, l’ordonnance du conseiller de la mise en état déclarant l’appel recevable et l’impossibilité pour le conseiller de la mise en état de se prononcer sur des exceptions de procédure relatives à la première instance (V. Cahiers de l’actualité 2007-4, p. 10).

xxx

            En guise de conclusion et de transition vers 2008, on évoquera la réforme de la carte judiciaire, mais en remarquant que si elle donné lieu à polémique tout au long du dernier trimestre civil, les décrets actant la nouvelle carte judiciaire ne seront pris qu’en janvier ou février 2007 pour une application aux tribunaux d’instance en 2009 et aux tribunaux de grande instance en 2010. Et ce n’est qu’au 30 juin 2008 que l’on connaîtra les réflexions et les propositions de la Commission sur une nouvelle répartition des compétences entre les juridictions civiles de première instance (avec d’éventuelles déjudiciarisation), Commission que le signataire de ces lignes a le grand honneur de présider.

XI - Synthèse pour 2008
l’année de toutes les réflexions, mais 2008 n’est pas 1958 !

Le lecteur de ces lignes pourra trouver curieux que l’année 2008 soit associée et comparée à 1958. Et pourtant ! Pour juger de la pertinence de cette plongée dans le temps, il suffit de se souvenir des réformes que l’année 1958 avait préparées pour une entrée en vigueur au 1er mars 1959 et de relire ce qu’en écrivait Pierre Viansson-Ponté dans Le Monde du 25 décembre 1958 : « la réforme … entraîne un bouleversement profond de l’organisation de la justice et des règles de la procédure. Cette réforme porte sur des aspects très divers d’un système judiciaire dont on reconnaît généralement qu’il est extrêmement lent et complexe. On a surtout retenu des dispositions prises qu’elles éloignent la justice du justiciable. Mais elles tendent aussi à la rendre plus rapide et moins compliquée. Elles n’ont cependant pas l’ambition de remédier d’un seul coup à tous les défauts qu’on lui a reprochés. Les auteurs de la réforme ont conçu une organisation vraiment nouvelle et originale de la justice, comportant des tribunaux moins nombreux et mieux outillés, élaguant considérablement la procédure et unifiant les voies d’appel. Le second objectif a été de revaloriser la situation matérielle et morale des magistrats. [..]. Les pleins pouvoirs dont dispose le gouvernement ont ainsi permis une véritable refonte de la justice. Mais l’expérience seule démontrera si la nouvelle organisation lui confère plus d’efficacité ».
L’actualité de ce commentaire est saisissante et édifiante, tant en ce qui concerne les objectifs de célérité et de lisibilité («rendre la justice plus rapide et moins compliquée »), que les contreparties de moindre proximité (« des tribunaux moins nombreux ») et de plus de moyens (« des tribunaux mieux outillés ») et les interrogations sur l’avenir de la réforme qui devait faire la preuve de son efficacité («l’expérience seule démontrera si la nouvelle organisation lui confère plus d’efficacité »). Cinquante après, les objectifs restent les mêmes, au moins dans les discours, remplis de nobles ambitions (célérité et lisibilité accrues) et de belles intentions (des magistrats mieux formés et mieux équipés) ce qui tendrait à prouver que la réforme de 1958 doit être actualisée à l’aune des nouvelles attentes des citoyens (qualité et célérité), des exigences européennes (respect des garanties fondamentales conduisant à un procès équitable) et des nouvelles technologies (informatisation et numérisation), mais 2008 n’a pas été 1958 et la grande réforme, tant attendue, n’a pas encore eu lieu ; certes, elle aura été amorcée par la révision (très contestée) de la carte judiciaire, certains aspects de la réforme constitutionnelle de l’été et divers textes d’organisation judiciaire ou de procédure (I), mais, pour l’essentiel, il faudra attendre la mise en œuvre des propositions des commissions Attali, Magendie 2, Guinchard et Darrois, pour qu’elle connaisse le profond bouleversement dont elle a tant besoin (II). Quant à la jurisprudence de la Cour de cassation elle ne mérite pas cette année une attention particulière, sauf à signaler les premières décisions rendues quant à la réforme de la saisie immobilière (avis du 16 mai 2008, Cahiers de l’actualité 2008-4, p. 21 ; Civ. 2ème, 23 oct. 2008, D. 2008, 310, note A. Leborgne).

i – les textes de droit interne et de droit communautaire
            La moisson 2008 est de faible quantité et, certains penseront peut-être, de faible qualité, encore que, à y regarder de plus près, elle porte en elle de profonds changements pour l’avenir, tant en ce qui concerne l’organisation et les professions judiciaires (A), que la procédure civile générale (B) et spéciale (C).

a) organisation et professions judiciaires
a) La réforme de la carte judiciaire
C’est, bien sûr, la refonte de la carte judiciaire qui a retenu et retient encore l’attention et la critique, plus par la méthode suivie et les résultats concrets auxquels elle conduit, que le principe même d’une telle réforme. Il est vrai que la concertation lancée en juillet 2007 par la création d’un « comité consultatif de la carte judiciaire » a fait long feu, puisque ladite commission ne fut réunie …. qu’une fois ! Les manifestations de rues l’ont alors emporté sur la raison et la concertation. Mais il faut être honnête et reconnaître que sans un passage en force, jamais la réforme n’aurait vu le jour, car elle heurtait de front l’addition de tous les corporatismes et de toutes les démagogies, chacun voulant bien de la réforme, mais pour son voisin. Combien d’avocats la contestaient par solidarité avec les confrères des tribunaux supprimés, mais se réjouissaient secrètement de la centralisation, au siège des tribunaux où ils étaient installés, des contentieux dont connaissaient jusqu’alors leurs « malheureux » confrères ; combien de députés et de sénateurs défendaient jusqu’au bout, le maintien d’une juridiction dans leur circonscription ou leur département au nom « de la proximité et de l’intérêt des justiciables », voire de « l’aménagement du territoire », mais reconnaissaient officieusement qu’il fallait « rationaliser » la gestion de nos juridictions !
1) Les décrets du 15 février (n° 2008-145 et 146), du 29 mai (n° 2008-514) et du 30 octobre 2008 (ce dernier pour parer à l’éventualité d’une annulation par le Conseil d’Etat des décrets de février) réforment la carte, sans vrai critère de cohérence dans l’espace (pourquoi la Bretagne a-t-elle été frappée plus que d’autres régions, avec la suppression de 3 TGI et de 12 TI ?), mais avec une réelle volonté de différé dans le temps, ne serait-ce que pour des questions d’intendance (reloger les juridictions supprimées), selon le calendrier suivant :
- en 2008, à la date du 3 décembre, 62 conseils de prud’hommes ont été supprimés sur 271 et un créé à Avesnes-sur-Helpe (décret n° 2008-514, 29 mai 2008) ; il reste donc un solde net de 210 ; de même, 30 greffes détachés et un greffe permanent (en Martinique) ont été supprimés par le décret n° 2008-145, 15 février 2008 (article 3-I et II), à sa date d’entrée en vigueur ;
- au 1er janvier 2009, 55 tribunaux de commerce sur 185 sont supprimés (décret n° 2008-146, 15 février 2008), mais 5 sont créés (art. 2), (ainsi qu’un tribunal mixte de commerce à Saint-Pierre-de-la-Réunion, art. 3), soit un solde de 135 pour les tribunaux de commerce proprement dits (soit 27% de moins) ; s’y ajoute le transfert de la compétence commerciale de 23 tribunaux de grande instance aux tribunaux de commerce ;
- au 1er janvier 2010 (décret n° 2008-145, 15 février 2008), 178 tribunaux d’instance sur 473 seront supprimés (art. 1er), ainsi que les juridictions de proximité qui sont situées au siège de ces tribunaux (art. 6) et un greffe permanent en Guadeloupe, (art. 1er-III). Par ailleurs, 7 tribunaux d’instance seront créés (ainsi que 7 juridictions de proximité au siège de ces nouveaux tribunaux), ce qui donne un solde net de 302 tribunaux d’instance au 1er janvier 2010, contre 473 avant cette date (soit moins 36%) ;
- au 1er janvier 2011, 23 tribunaux de grande instance seront supprimés sur 181 (décret n° 2008-145, 15 février 2008, art. 10), soit moins 16%.    
            Au final, avant le premier janvier 2011, la France comptait 1110 juridictions du premier degré (sans les juridictions de proximité, ni les 431 tribunaux paritaires de baux ruraux, ni les 116 tribunaux des affaires de sécurité sociale) ; elle n’en comptera plus que 805 à compter de cette date, soit une chute de 305 (27,5%).
            Les cours d’appel n’ont pas été touchées par la réforme.
2) L’accompagnement de cette refonte a concerné, à titre principal, les avocats (cf. D. n° 2008-741, 29 juillet 2008), qui pourront percevoir une sorte de prime à la suppression du tribunal près duquel ils étaient établis, sous la fore d’une « aide à l’adaptation de son exercice professionnel aux conditions nouvelles résultant de la suppression de ce tribunal » ; cette aide se décompose en deux fractions, la première, qu’il fallait demander avant le 6 septembre 2008, consistant en une sorte d’aide d’urgence égale à 25% du montant des recettes de l’exercice 2006 ou 2007 (au choix de l’avocat), dans la limite de 10 000 euros (art. 3 et 4) ; la seconde est plus prospective puisqu’elle est conditionnée à la présentation, par l’avocat concerné, entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2010, d’un « projet d’adaptation de son exercice professionnel aux conditions nouvelles résultant de la suppression du TGI et justifiant de voir financer des investissements et d’autres dépenses directement liés à la réalisation de ce projet » ; la somme attribuée sera fixée par le ministre de la justice après avis d’une commission d’évaluation de l’ide (articles 5 et s.).
            Pour les greffiers des tribunaux de commerce, les passerelles vers d’autres professions judiciaires sont assouplies (cf. D. n° 2008-786, 18 août 2008, commenté dans les Cahiers de l’actualité 2008-5, p. 6).
b) Le code de l’organisation judiciaire (suite et fin)
L’année 2008 aura été aussi celle de la publication, tant attendue, de la partie réglementaire du code de l’organisation judiciaire (D. n° 2008-522, 2 juin 2008, cf. les Cahiers de l’actualité 2008-4, p. 23) ; publication attendue, car, en raison de la déclassification de certains articles de l’ancienne partie législative, la nouvelle, issue de l’ordonnance du 8 juin 2006, n’était pas toujours d’un accès aisé.  

c) Les magistrats professionnels
1) Ils sont concernés au premier chef par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 (L. n° 2008-724), qui revoit la composition et le mode de fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. Désormais (article 65 de la Constitution), dès l’entrée en vigueur de la loi organique attendue sur ce sujet, le CSM ne sera plus présidé par le Président de la République, qui demeure néanmoins le « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire », et le ministre de la justice n’en sera plus le vice-président (mais il pourra participer aux séances des deux formations du CSM, sauf en matière disciplinaire). Il comprend une formation compétente à l’égard des magistrats du siège et une autre à l’égard des magistrats du parquet, ainsi qu’une formation plénière. Chaque formation sera composée de 15 membres (sauf en matière disciplinaire, cf. infra), présidée par le Premier président de la Cour de cassation ou le Procureur général près ladite cour, selon la formation en cause, membres de droit ; le nouveau CSM sera à majorité de non-magistrats (huit, dont un avocat et un conseiller d’Etat nommé par son institution et six désignés à raison de deux chacun par le Président de la République et les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat) ; six magistrats complèteront chaque formation (cinq du siège et un du Parquet ou cinq du Parquet et un du siège). La formation plénière comprendra les six personnalités qualifiées, l’avocat et le conseiller d’Etat, trois des cinq magistrats du siège et trois des cinq magistrats du Parquet, le Premier président de la Cour de cassation qui la préside de droit, le Procureur général n’étant que son suppléant. Cette formation répond aux demandes d’avis formulées par le Président de la République au titre de l’article 64 de la Constitution, se prononce sur les questions de déontologie des magistrats et sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de la justice. La formation compétente à l’égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d’appel et de présidents de tribunaux de grande instance ; les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme. Elle statue aussi comme conseil de discipline de ces magistrats et se renforce alors du magistrat du siège qui appartient à la formation compétente à l’égard des membres du Parquet. Par parallélisme, la formation compétente à l’égard des magistrats du Parquet se renforce du membre du Parquet appartenant à la formation du siège, lorsqu’elle donne son avis sur les sanctions disciplinaires qui concernent les magistrats du Parquet ; en revanche, pour les nominations de ces magistrats, la formation compétente ne donne que son avis sur leurs nominations, à quelque hauteur de la hiérarchie que ce soit (mais aussi pour les procureurs généraux nommés en Conseil des ministres, jusqu’ici sans avis du CSM). On voit bien ici, ce que l’expression de « magistrats du Parquet » utilisée à l’article 65 a d’incongru, surtout après l’arrêt Medvedyev et alii c/France de la Cour européenne des droits de l’homme (10 juillet 2008), qui dénie aux membres du Parquet en France leur appartenance à « l’autorité judiciaire », au sens que sa jurisprudence donne à cette notion, par application de l’article 5 de la Convention européenne, en raison de leur manque d’indépendance à l’égard de l’exécutif ; si l’arrêt a été rendu au regard de l’article 5 de la Convention européenne, sa portée dépasse celle de cette disposition, car il est rédigé en termes très généraux ; la lecture du nouvel article 65 de la Constitution ne peut que renforcer la Cour européenne dans sa conviction : quel est ce « magistrat », nommé par l’exécutif après avis simple du CSM et dont les sanctions disciplinaires sont prises par l’exécutif, dans les mêmes conditions d’avis simple ? Où est son indépendance ? On notera le nouveau droit de saisine des justiciables « dans les conditions qui seront fixées par une loi organique ».
            2) Les magistrats professionnels sont aussi concernés par le décret n° 2008-818 du 21 août qui modifie le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993, pour leur imposer une obligation d’information du Ministre de la Justice, dans l’éventualité d’une passerelle vers une activité privée, qu’ils soient en activité, en disponibilité ou qu’ils aient déjà cessé leurs fonctions depuis moins de cinq ans (cf. Cahiers de l’actualité 2008-5, p. 4). Le même décret modifie la procédure d’instruction des dossiers de candidature à la fonction de magistrat à titre temporaire (transmission directe au Garde, sans passer par l’assemblée générale des magistrats du siège qui avait un pouvoir de filtrage).
            3) Enfin, l’année 2008 se sera terminée par l’importante réforme des concours d’accès au corps de magistrats professionnels (D. n° 2008-1551 du 31 déc. 2008 et arrêté de la même date, au JO du 1er janvier 2009) ; il était temps ! Le concours débutant en juillet, la préparation des étudiants en est fortement bouleversée.
Pour l’essentiel et s’agissant du concours réservé aux « étudiants », le décret fait passer la traditionnelle « note de synthèse » de l’admissibilité à l’admission (mais il n’est plus question, comme l’avant-projet en portait trace, d’un « dossier de synthèse », avec l’obligation pour les candidats de fournir, outre une synthèse, des éléments de réflexion pour aide à la décision).
La part du droit est considérablement accrue, par les coefficients respectifs des épreuves juridiques et des épreuves non juridiques (à l’admissibilité, 10 contre 5) et par l’introduction de sujets de procédures civile et pénale (à la fois dans l’épreuve de droit civil et de droit pénal et par deux épreuves autonomes de cas pratique en ces deux matières) ; pour notre part, si nous approuvons totalement ce retour aux fondamentaux du droit, nous aurions préféré une épreuve autonome, à l’écrit, sur les principes structurants du procès équitable (mêlant matière civile et matière pénale) associés à un programme de libertés et droits fondamentaux, à l’instar du grand oral de l’examen d’entrée dans un Centre de formation d’avocats ; ce système aurait eu le triple mérite d’afficher clairement et conformément à la Constitution, que l’autorité judiciaire est la gardienne des libertés, d’aligner ce que la Nation est en droit d’attendre de ses futurs juges sur ce que l’on attend des futurs avocat et d’éviter la gestion de deux cas pratiques de procédure en plus d’une éventuelle question de procédure dans l’épreuve de droit civil ou celle de droit pénal, ce qui n’est nullement évident, tant pour ceux qui auront à trouver les sujets que pour ceux qui auront à les traiter. Toujours pour les épreuves juridiques, s’ajoute aux quatre épreuves de droit, « une épreuve d'une durée de deux heures constituée de questions appelant une réponse courte, destinée à évaluer les connaissances des candidats relatives à l'organisation de l'Etat et de la justice, aux libertés publiques et au droit public ».
L’épreuve de culture générale n’est guère éloignée de l’ancienne (« une composition, rédigée en cinq heures, portant sur une question posée aujourd'hui à la société française dans ses dimensions judiciaires, juridiques, sociales, politiques, historiques, économiques, philosophiques et culturelles »).
A l’oral, outre la note de synthèse déjà indiquée, c’est l’épreuve d’entretien avec le jury qui retient l’attention, ainsi que l’avis d’un expert en psychologie. La première se dédouble, comme son libellé l’indique (« épreuve de mise en situation et d'entretien avec le jury ») avec :
- une mise en situation, d'une durée de trente minutes sans préparation, au cours de laquelle un groupe de candidats analyse un cas concret devant le jury. Les candidats admissibles sont répartis en groupes d'importance égale, comportant au moins trois membres. Le président du jury veille à ce que chaque candidat dispose d'un temps de parole minimum fixé en fonction de la taille du groupe et d'au moins cinq minutes ;
- un entretien avec le jury, d'une durée de quarante minutes, comprenant un exposé du candidat sur une question d'actualité posée à la société française ou sur une question de culture générale ou judiciaire, suivi d'une conversation avec le jury portant sur le parcours et la motivation du candidat et sur sa participation à la mise en situation. La conversation s'appuie sur une fiche individuelle de renseignements remplie par le candidat admissible.
On mesure l’originalité de l’épreuve par rapport à l’existant, d’autant plus que les membres du jury de l'épreuve de mise en situation et d'entretien disposent également de l'avis d'un psychologue établi dans les conditions prévues à l'article 18-1, c'est-à-dire par écrit et pour chaque candidat à partir de tests de personnalité et d'aptitude d'une durée maximum de trois heures passés avant les épreuves d'admission et d'un entretien d'une durée maximum de trente minutes organisé en présence d'un magistrat. Cet avis est remis en mains propres au candidat ou lui est notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il est transmis au président du jury. Le candidat ou le président du jury peuvent demander, dans un délai de huit jours à compter de la réception de l'avis, un entretien avec un autre psychologue, organisé et notifié dans les mêmes conditions. Les psychologues qui conduisent les entretiens et les magistrats qui y assistent sont nommés examinateurs spécialisés, mais ne participent pas aux délibérations finales du jury pour l'attribution de la note de l'épreuve de mise en situation et d'entretien. Le candidat peut demander communication du résultat des tests de personnalité et d'aptitude. Celui-ci est détruit à l'expiration d'un délai deux mois à compter de la publication des résultats du concours.
Autres changements : l’épreuve de langues porte obligatoirement sur l’anglais et le jury ne comprend plus qu’un professeur de droit au lieu de deux.

b) procédure civile générale
            Les principes de dialogue, de confiance et de célérité progressent en cette année 2008.
a) Dialogue avec la nouvelle exception de constitutionnalité introduite par la réforme constitutionnelle précitée du 23 juillet 2008. Le justiciable peut désormais contester une loi devant le juge judiciaire (ou administratif), mais selon une procédure complexe, par renvoi successif du juge du fond à la Cour de cassation (ou au Conseil d’Etat), puis de celle-ci au Conseil constitutionnel, auquel reviendra le dernier mot sur la constitutionnalité de la loi contestée (cf. article 61-1 de la Constitution). Dialogue des juges, mais à l’initiative d’une partie à une instance en cours devant une juridiction.
b) Confiance dans les associations, dans la mesure où le décret n° 2008-799 du 20 août 2008 introduit, dans le code de procédure civile (art. 1263-1) la possibilité, pour les associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans et se proposant, par leurs statuts, de lutter contre les discriminations, d’exercer les actions en justice qui naissent de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 en faveur de la victime de discrimination ; bel exemple d’écoute de l’Autre et de confiance en l’action associationnelle, à une époque où l’action de groupe n’arrive pas à naître ; il est vrai qu’ici l’accord écrit de l’intéressé doit avoir été obtenu.
c) Célérité enfin dans la poursuite du vaste mouvement de numérisation et de communication électronique, dans la réforme de la procédure devant la Cour de cassation (cf. D. n° 2008-484, 22 mai 2008, Cahiers de l’actualité 2008-4, p.19), ainsi que dans les modifications mineures apportées aux articles 509-1 et 509-3, CPC, relatifs au titre exécutoire européen (même décret, Cahiers de l’actualité 2008-4, p. 22).

c) procédures civiles spécifiques
            a) Les procédures de protection juridique des mineurs et des majeurs
La fin de l’année 2008 aura été marquée par l’important décret d’application de la loi du 5 mars 2007 qui réforme en profondeur la protection des mineurs et des majeurs, n° 2008-1276 du 5 décembre ; de nombreux articles du code de procédure civile sont concernés et feront sans doute l’objet d’une jurisprudence abondante.
            b) L’acte d’état civil de l’enfant sans vie
Suite à trois arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 6 février 2008 quant au point de savoir jusqu’à quelle étape de l’évolution du fœtus on peut obtenir un certificat d’enfant né sans vie (art. 79-1, C. civ.),  deux décrets du 20 août 2008 (n° 798 et 800, Cahiers de l’actualité 2008-5, p.3) autorisent les parents de cet enfant à demander qu’il soit inscrit sur leur livret de famille et leur permet d’obtenir la délivrance d’un acte de l’état civil portant mention des circonstances de sa naissance. L’enfant ne bénéficie pas pour autant de la personnalité juridique ; aucun lien de filiation ne le relie à ses parents et il ne porte donc pas de nom de famille, mais un prénom peut lui être attribué. Cet acte sera inscrit sur les registres de décès, rendant possible l’inhumation ou la crémation de l’enfant.
            c) La médiation dans les litiges transfrontaliers
La directive n° 2008/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, pose les principes et les règles essentielles d’un recours à la médiation, dans ces matières (à l’exception des droits et obligations dont les parties ne peuvent disposer), mais uniquement dans les litiges transfrontaliers. Les États membres ont un délai de trente-six mois pour la transposer. Elle les oblige à encourager la formation des médiateurs et l’élaboration de codes volontaires de bonne conduite pour garantir une procédure équitable. Elle reconnaît le droit à tout juge d’un État membre, à chaque étape de la procédure, de proposer aux parties d’assister à une réunion d’information sur la médiation et, le cas échéant, de les inviter à y recourir. L’accord intervenu après une médiation doit pouvoir acquérir force exécutoire. La médiation doit se dérouler dans le respect de la confidentialité et les intérêts des parties qui recourent à la médiation doivent être sauvegardés au regard de la prescription.
d) Adaptation de règlements européens au droit français
Un décret n° 2008-1346 du 17 décembre 2008 adapte en droit français la procédure d’injonction de payer européenne et celle de règlement des petits litiges. Cf. infra, le commentaire de ces textes dans ces Cahiers de l’actualité.

ii – les commissions de réflexion ou l’amorce d’une réforme en profondeur de la justice et de la procédure civile
            L’année 2008 aura été l’année des commissions de réflexion sur la justice de notre pays, dans le prolongement du rapport Attali de la fin de l’année 2007 qui, pour encourager la croissance, préconisait, parmi bien d’autres mesures, la suppression de la profession d’avoués. Celle-ci aura été actée par une déclaration de la Ministre de la justice, mais aucune initiative législative n’est venue concrétiser cette intention qui devrait être effective au 1er janvier 2010. Ce qui est pour le moins inconfortable pour les avoués qui n’ont nullement démérité et se trouvent ainsi ballotés, entre deux eaux, attendant d’être fixés sur leur sort et … leur indemnisation. Il ne sera point question ici des travaux de la commission Darrois qui réfléchit aux relations entre les différentes professions judiciaires et à une éventuelle réforme de l’aide juridictionnelle, pour la simple raison que ses conclusions ne sont point connues au jour où nous écrivons ces lignes. 

a) les propositions de la commission guinchard
Pour ce qui est de la commission sur la réorganisation des contentieux et d’éventuelles déjudiciarisations que l’on a pris pour habitude d’appeler « commission Guinchard » du nom de son président, on rappellera ici qu’elle a été installée le 18 janvier 2008 (sur celle-ci, cf. Cahiers de l’actualité, 2008-2, discours d’installation, p. 3 et 9) en pleine tourmente judiciaire, avec l’acte 1 de la réforme de la carte judiciaire et l’annonce intempestive et en fanfare d’un transfert du divorce par consentement mutuel aux notaires, transfert considéré quasiment comme acquis avant même d’avoir été expertisé par ceux qui avaient pour mission de conduire cette expertise ! C’est dire si le climat n’était pas à la paix des armes entre tous ceux qui ont participé à cette commission. Et pourtant, le climat fut serein, ainsi que le révèle l’intitulé du rapport final, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, remis à la Ministre le 30 juin 2008. Si j’assume totalement sa paternité (les lecteurs assidus du Recueil Dalloz auront noté le clin d’œil à mon commentaire, dans les colonnes de cette revue, du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998, L’ambition d’une rénovation de la justice civile), il a emporté l’adhésion de tous, sans doute parce qu’il traduisait le souci de marquer d’entrée de jeu deux idées forces : d’une part, celle de ne proposer que des solutions expertisées par les membres de la commission et par la Chancellerie et dont la faisabilité devait être immédiate, si le pouvoir politique le souhaite ; en ce sens, l’ambition est raisonnée, certains diront peut-être raisonnable. D’autre part, ce rapport n’avait pas pour objet et n’a pas eu pour effet, de rallumer le feu des passions auxquelles la refonte de la carte judiciaire avait donné lieu entre juillet 2007 et le 15 février 2008 (date des décrets actant la réforme). Il est normal que, dans un état démocratique comme le nôtre, on s’oppose, on débatte et on exprime son opinion, mais à partir du moment où l’autorité légitime avait tranché, les membres de la commission ont tous considéré, sans qu’aucun ne renie ses convictions, que l’acceptation de faire partie de la commission valait engagement de travailler dans le sens de la recherche de solutions audacieuses, mais concrètes et pragmatiques, pour que notre justice sorte de ce climat passionnel et se retrouve dans un apaisement propice à la mise en œuvre de nos propositions. Je ne suis pas naïf et je sais bien que certains trouveront nos recommandations trop ambitieuses sur certains points et que d’autres les trouveront trop timorées. Le croisement des critiques sera intéressant et vaudra jugement de l’Histoire ! L’objectif a été de (re)construire la justice des prochaines années, sur une base acceptable par tous et dans des conditions de nette amélioration pour le justiciable bien sûr, que j’ai souhaité (re)mettre « au centre du système judiciaire », mais aussi pour les acteurs du système judiciaire, dont le juge, que je place « au cœur » de ce même système. En ce sens, ce rapport se veut porteur d’un message d’apaisement, non pas par l’inertie (« on ne fait rien, parce que ce pays est réfractaire aux réformes »), mais par la mise en place de ses 65 propositions (on avance au rythme de notre société). Pour la liste de ces 65 propositions, on se permet de renvoyer aux Cahiers de l’actualité 2008-4, p. 3 à 14 ; pour une présentation synthétique, cf. notre interview au Recueil Dalloz, 3 juillet 2008, p. 1748 ; pour l’argumentaire complet de chacune des propositions, cf. le rapport complet publié à la Documentation française en août 2008, dans la série des rapports officiels.
            En ce début d’année 2009, les décrets qui rendront effectives ces propositions sont prêts, mais attendent le feu vert de leur publication et, parfois, la loi qui, préalablement, doit fixer les principes de la réforme, conformément à la répartition des compétences entre législatif et exécutif. Quant aux propositions qui nécessitent une loi, deux vecteurs sont d’ores et déjà sur les rails : la proposition Warsmann sur la simplification du droit, votée en première lecture à l’Assemblée nationale le 15 octobre 2008 (on y trouve notamment le transfert au juge aux affaires familiales des tutelles des mineurs) et la proposition de loi du sénateur Laurent Béteille sur l’exécution forcée et les professions réglementées.  
   b) les propositions de la commission magendie 2 sur la célérité et la qualité de la justice en appel
            C’est le 28 juin 2008 que M. le Premier président Jean-Claude Magendie a remis son rapport sur ce thème, dans la continuité de celui sur la célérité et la qualité de la justice en première instance. On peut le consulter sur le site www.justice.gouv.fr. et une présentation en a été faite dans les pages des Cahiers de l’actualité 2008-4, p. 18 et 19, auxquelles on se permet de renvoyer. Pour l’essentiel, deux volets de réformes étaient préconisés : l’accélération du cours de l’instance d’appel (b) et la mise en place d’un principe de concentration (a) ;
a) C’est ce second point qui suscite des réserves.
Il faut rappeler ici que si le code de procédure civile a favorisé le développement de l’appel comme voie d’achèvement du procès, ce n’est pas pour prolonger inutilement le procès d’appel, mais pour éviter un retour devant le premier juge, pour contrer l’effet de ce qu’on avait appelé « le jeu de yo-yo », avec des plaideurs cultivant le dilatoire, au point de revenir devant un juge pour retarder l’issue finale de l’affaire. Les rédacteurs du code l’ont fait de plusieurs façons qui conservent leur pertinence : extension des demandes nouvelles recevables ; élargissement éventuel du personnel du procès ; développement de l’effet dévolutif et de l’évocation ; accélération de la procédure par la création d’autres modèles que la procédure ordinaire.
            Il ne faudrait pas qu’un pure logique de gestion des flux freine cette évolution, revienne en arrière, alors que, paradoxalement, le nombre d’appels diminue, qu’à limiter l’achèvement du procès en appel, on réduit peut-être la durée de ce niveau d’instance, mais pas la durée de l’ensemble de l’affaire, puisqu’il faudra revenir devant le premier juge ; et, surtout, parce que depuis deux arrêts de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (7 juillet 2006 sur l’autorité de la chose qui n’a pas été jugée et 21 décembre 2007 sur la simple faculté pour le juge de relever d’office les moyens de droit), le justiciable n’a comme seule soupape de sortie vers une décision disant le droit, que l’appel voie d’achèvement !
1) Avec le premier de ces deux arrêts de l’Assemblée plénière, la Cour de cassation a opéré un revirement remarqué quant au périmètre de l’autorité de la chose jugée. Désormais, tous les moyens de droit doivent être concentrés dans les écritures soumises au premier juge, puisque le jugement que celui-ci rendra aura autorité de chose jugée, non seulement sur ce qu’il a réellement jugé, mais aussi sur ce qu’il n’aura pas jugé mais que les parties auraient dû soulever devant lui ! Cette nouvelle définition de l’autorité de la chose qui n’a pas été jugée ne peut pas ne pas avoir d’incidence sur le maintien de l’appel voie d’achèvement, sauf à remettre en cause l’effectivité du droit d’accès à un juge et le devoir de protection juridictionnelle que l’Etat doit à chacun. En effet, s’il est légitime que la consécration du principe de loyauté dans les relations entre les parties et entre les parties et le juge, se concrétise par une règle de concentration des moyens pour éviter le retour dilatoire au juge du premier degré et que des plaideurs déloyaux ne présentent des contestations à répétition sous des qualifications juridiques différentes, il est dangereux que la sanction en soit recherchée dans une nouvelle définition de l’autorité de la chose jugée, qui revient à reconnaître l’autorité de la chose qui n’a pas été jugée, tout au moins, si des gardes fous ne sont pas posés. Et c’est là qu’intervient la notion d’appel voie d’achèvement. Au niveau de l’appel en effet, la chose jugée est entièrement remise en question devant le juge du second degré par l’effet dévolutif. Le changement de fondement juridique devant la cour d’appel, n’est pas en lui-même dilatoire, puisqu’il s’insère dans un processus évolutif de la chose jugée, en intégrant la réponse des premiers juges au raisonnement initial des parties : c’est parce qu’une partie se voit déboutée sur le fondement auquel elle avait pensé, que, dans le cadre de l’achèvement de son procès, elle peut présenter sa demande, non pas véritablement nouvelle, puisqu’elle tend aux mêmes fins, mais complémentaire de la première.
Au-delà de la question de la responsabilité civile professionnelle de l’avocat de première instance, c’est toute la conception de l’accès effectif à un juge qui est en cause :
- on peut interdire de recommencer un procès devant un nouveau juge du premier degré, au motif qu’on aurait dû songer à toutes les qualifications possibles, à tous les fondements juridiques imaginables, parce que, par hypothèse, le premier jugement a alors acquis force de chose jugée (on suppose qu’appel n’a pas été formé) et que l’identité d’objet de la demande est patente ;
- mais on ne peut pas tenir le même raisonnement en appel, puisque, par hypothèse, l’autorité du premier jugement est remise en question devant le juge d’appel, avec un effet dévolutif plein et entier, précisément pour que le juge d’appel puisse en connaître dans toutes ses dimensions, afin d’éviter de retourner devant un juge du premier degré.
            En d’autres termes, l’arrêt de l’Assemblée plénière du 7 juillet 2006 porte en lui-même la consécration de l’appel voie d’achèvement, sauf à se satisfaire d’un déni de justice. Et c’est précisément la Cour de justice des communautés européennes qui est venue nous le rappeler, dans un arrêt du 18 juillet 2007. Dans un § 59, elle affirme que, selon le droit italien, l’article 2909 du code civil s’oppose non seulement à la réouverture dans un second litige, des moyens qui ont déjà été expressément tranchés à titre définitif, mais aussi à ce que soient abordées des questions qui auraient pu être soulevées dans le cadre d’un litige antérieur et qui ne l’ont pas été. Il s’agit donc de la solution retenue par la Cour de cassation le 7 juillet 2006. Dans le même § 59, la Cour de justice affirme qu’une telle disposition peut notamment avoir pour effet de faire échec à l’application du droit communautaire par un juge national, puisque les parties qui n’auraient pas soulevé ce moyen ne pourraient plus le faire par la suite. Et de poursuivre, § 63, qu’en conséquence, il convient de dire pour droit que le droit communautaire s’oppose à l’application d’une disposition du droit national visant à consacrer le principe de l’autorité de la chose jugée, telle que prévue à l’article 2909, C. civ. italien. Certes, l’arrêt ne concerne pas la voie d’achèvement et est inspiré par le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national, mais il montre bien les limites de la solution de l’Assemblée plénière du 7 juillet 2006.
2) Quant à l’arrêt du 21 décembre 2007, il conforte indirectement la solution de l’appel voie d’achèvement, de la même façon que celui du 7 juillet 2006 et en articulation totale avec lui ; si l’on admet les deux solutions de 2006 et 2007 (principe de concentration des moyens et impossibilité pour les parties d’obtenir du juge une requalification ou un relevé d’office d’un moyen de droit reposant sur des faits non spécialement invoqués par elles), alors, il faut ouvrir largement la voie d’appel comme voie d’achèvement pour que cette double sanction ne vienne pas porter une atteinte disproportionnée au droit à un juge. Mais si l’on veut fermer la voie d’achèvement, alors il faut revenir sur l’une ou l’autre des deux solutions de la Cour de cassation.
b) Le second point important du rapport, l’accélération du cours de l’instance d’appel ne soulève pas les mêmes difficultés. Selon le Conseil national des barreaux (communiqué du 22 décembre 2008), l’avant-projet de décret issu des travaux de la commission Magendie 2, traduit la volonté d’accélérer la procédure d’appel, notamment pas la réduction du temps de la mise en état et du délai d’audiencement à l’issue de celle-ci, le strict encadrement de la durée du délibéré et la dématérialisation de la procédure.
            Quant à la suppression de la voie d’appel comme voie d’achèvement, il n’en est pas question, toujours selon le CNB qui relève au contraire une volonté de « redéfinir le rôle et le régime de l’appel dans la recherche d’un équilibre entre ses fonctions de réformation et d’achèvement en privilégiant la première d’entre elles ».
c) les propositions du groupe de travail de m. magendie sur la médiation
            Sous l’intitulé complet « Célérité et qualité de la justice. La médiation : une autre voie », ce groupe de travail propose notamment :
- de mieux distinguer la conciliation de la médiation ;
- de permettre au juge d’enjoindre aux parties de s’informer sur la médiation, à l’instar de ce qui existe dans le contentieux familial ;
- de prévoir la présence de médiateurs au sein même des juridictions ;
- d’instaurer, parallèlement, une structure de médiation dans les juridictions et de créer des pôles de la médiation dédiés au suivi de la médiation ;
- d’établir une liste indicative de médiateurs par cour d’appel ;
- de prévoir une sanction pécuniaire en cas de non recours à la médiation (refus du bénéfice de l’article 700 du code de procédure civile).
            On ne peut que se féliciter de ces propositions et espérer qu’elles se traduiront rapidement par des projets de décret, en complément des propositions de la commission Guinchard sur cette question des modes alternatifs de règlement des litiges.



[1] Thierry Le Bars, D. 2002.
[2] Serge Guinchard, Un bon exemple de la France d’en haut contre la France d’en bas… », Petites affiches, 5 juin 2002.
[3] Jacques Chirac et Lionel Jospin.
[4] Disposition validée par le Conseil constitutionnel, le 29 août 2002, § 21 à 24 et reprise dans l'article 847-4, NCPC (réd. D. 23 juin 2003).
[5] Voy. notre article Vers une démocratie procédurale à la revue Justice 1999-1, nouvelle série, p. 99, repris aux Mélanges de l’université Paris 2 pour l’an 2000, Dalloz et dans le précis de Droit processuel, dès la première édition de février 2001.
[6] Voy. ses déclarations à Aix-en-Provence, en octobre 2003, lors d’une rencontre magistrats/avocats ; le Garde avait dit publiquement qu’il n’en était plus question car il s’agissait d’une atteinte trop grave portée au principe du double degré de juridiction.
[7] V. Frédérique ferrand, in Droit processuel, Droit commun et droit comparé du procès, op. cit. 3ème éd., 2005, n° 5 bis.
[8] K. Schellhamer, Zivilprozessreform und esrste Instanz, MDR 2001, p. 1081, cité par Fr. Ferrand in Droit processuel, Droit commun et droit comparé du procès.
[9] Dans la défunte revue Justices, 1999/1, p. 91, puis dans les Mélanges de l’université Paris 2 publiés à l’occasion de l’entrée dans le troisième millénaire, Dalloz éd., 2000 ; v. aussi, notre contribution aux Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant éd., 2004, « Quels principes directeurs pour les procès de demain ? »
[10] V. 28ème édition, par Serge Guinchard et Fédérique Ferrand, oct. 2006, Dalloz éd., n° 61.
[11] La procédure est à la fois une technique d’organisation du procès et une technique de garantie des libertés et droits fondamentaux, v. Serge Guinchard, « Le réveil d’une belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la procédure civile entre droit processuel classique, néo-classique ou européaniste et technique d’organisation du procès », Mélanges R. Martin, Bruylant/LGDJ, 2004
[12] V. notre contribution aux Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, Buylant éd., 2004, à propos de l’arrêt Kress c France, qui nous a valu une (demie) leçon de démocratie procédurlale.
[13] Dalloz-Action de procédure civile, 5ème édition, sept. 2006, Dalloz éd.
[14] N° 122-521.
[15] N° 331-182.

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